L’immigration que la France connait de façon croissante n’a pas que des conséquences sur son peuplement et sa composition culturelle. Elle a des impacts concrets sur le marché du travail. Alors que l’économie du pays stagne depuis plusieurs années, le recours massif aux travailleurs étrangers, qu’ils soient issus de l’Union européenne ou de pays tiers, aboutit à restreindre le nombre de postes accessibles aux autochtones et tire à la baisse les rémunérations. L’augmentation du nombre d’expatriations de français pourrait bien être le symptôme de la substitution d’une partie croissante de travailleurs français par des travailleurs étrangers.
Le travail détaché : le dumping social organisé
Le principe de libre circulation des biens et des personnes dans les pays de l’union européenne concerne aussi le monde du travail. Il trouve une traduction dans la possibilité pour les entreprises de détacher temporairement des salariés pour travailler dans un autre pays européen que celui où elles sont basées. Destiné à faciliter la mobilité des travailleurs, le détachement est devenu une véritable aubaine dans certains pays.
Un des intérêts du recours au travail détaché – outre des formalités allégées par rapport à l’expatriation – vient du fait que les cotisations sociales continuent à être payées dans le pays d’origine. Un récent rapport parlementaire parlait pudiquement à ce sujet d’un « avantage économique réel » (1). La France figurant parmi les pays ayant les cotisations sociales les plus élevées en Europe (2), le travail détaché y est en plein essor. La Cour des comptes constatait en 2016 (3) que « la France apparaît comme le deuxième pays d’accueil de travailleurs détachés (..), largement après l’Allemagne ». L’augmentation du nombre de travailleurs détachés en France est vertigineuse : de 7 500 en 2000, ils sont passés à 517 000 en 2017 (chiffres 2018 non connus à ce jour) (4).
Outre le manque à gagner en termes de cotisations sociales, c’est tout un tissu de petites et moyennes entreprises qui est menacé, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (5). Ce sont autant d’emplois qui ne pourront pas être pourvus par des artisans et des salariés français.
Le phénomène a pris une telle ampleur qu’en 2016, le gouvernement Valls a menacé de ne plus appliquer la directive sur les travailleurs détachés (6). Le Premier ministre de l’époque n’avait pas de mots assez durs pour fustiger le dumping social « insupportable » et le fait que les cotisations sociales des travailleurs détachés n’abondaient pas les caisses de la sécurité sociale.
Résultat d’un compromis entre pays européens, une nouvelle directive sur le travail détaché a été adoptée en juin 2018. Elle vient d’être transposée en France par ordonnance (7). La « victoire » du président Macron dans la négociation de cette directive, annoncée par certains organes de presse à l’époque (8), a un goût amer : les mesures concernant la rémunération versée aux salariés et la limitation de la durée du détachement devraient avoir peu d’impact. D’une part, car elles ne correspondent pas à la réalité du travail détaché (en terme de salaire versé et de durée moyenne des prestations)(9). D’autre part car elles ne mettront pas un terme à l’intérêt économique de recourir à ce type d’emplois.
Pire, sous la pression de pays d’où sont issus de nombreux travailleurs détachés exerçant en France, le projet de taxe que devaient payer les entreprises ayant recours à ce type de prestation a été abandonné en rase campagne (10). Le dumping social a encore de beaux jours en France, avec son corollaire, la destruction d’emplois…
L’immigration de travail extra-européenne : braconnage de compétences et rémunération en berne
En dépit du chômage de masse que connait la France, de plus en plus de travailleurs extra européens viennent travailler en France. Le nombre de premiers titres de séjour délivrés pour le travail a en effet triplé depuis 2007 (11). De 11 000 nouveaux titres de travail délivrés cette année-là, on passe à 32 800 en 2018. Le gouvernement Philippe accompagne, voire accélère, la tendance à la hausse que l’on observe depuis plusieurs années.
La Loi asile et immigration adoptée en 2018 par les députés En marche en est un exemple. Elle élargit de façon significative les critères d’accès au marché du travail français aux extra-européens(12). Des titres de travail peuvent notamment être octroyés aux étrangers« participant au développement économique, à l’aménagement du territoire et au rayonnement de la France » et aux demandeurs d’asile.
Le marché du travail des cadres est particulièrement concerné par la concurrence entre salariés nationaux et étrangers. Si une tension sur ce marché a été observée ces derniers temps (13), la volonté « d’attirer des talents étrangers en France » pour y faire face n’est pas sans conséquence. Elle se traduit par :
– La chasse aux compétences à l’étranger, notamment au Maghreb. Cette pratique amène un journaliste marocain à parler de braconnage (14). L’afflux d’ingénieurs maghrébins, en particulier dans le secteur informatique, pourrait bien être la conséquence de la politique salariale des entreprises françaises, qui s’adaptent aux nouvelles « règles du jeux » posées par les pouvoirs publics.
Face à des rémunérations peu attractives, on trouve d’un côté des cadres et des jeunes diplômés français qui ne veulent pas dévaloriser leurs qualifications, et de l’autre, des jeunes étrangers, moins regardants sur le salaire, dont le travail en France est autorisé pour certains métiers. On vous laisse deviner l’issue de cette concurrence. Les conséquences sont tangibles au Maghreb, avec une fuite des cerveaux vers l’Europe, qui ruine l’effort de formation fait par ces pays.
On trouve là une illustration de ce que développe Paul Collier, un universitaire anglais (15) dans un ouvrage récemment traduit en France : l’immigration, « loin d’être une chance, (…) fragilise l’Europe et appauvrit l’Afrique ».
– Une tension à la baisse sur les salaires. La possibilité de recruter des salariés peu exigeants en termes de rémunération a un impact sur les salaires « proposés » en France. Des baisses des rémunérations des postes les plus qualifiés sont même observées depuis plusieurs années (16). Les postes moins qualifiés ne sont pas en reste.
Cette situation aboutit à ce que de plus en plus de français s’expatrient, attirés par un meilleur salaire à l’étranger. Selon les dernières estimations, ils seraient 2,5 millions à vivre en dehors de nos frontières. Un chiffre en augmentation de 5% par an(17).
Sous la pression à la baisse du coût du travail, c’est une substitution partielle de salariés sur le marché du travail qui a lieu sous nos yeux, accompagnée, voire promue, par les politiques libérales et « progressistes ». C’est aussi un changement de population et de culture.
Le travail clandestin : des régularisations facilitées
Une autre forme de concurrence avec les travailleurs français vient du travail non déclaré réalisé par des étrangers. Les effets sur le marché du travail sont là encore négatifs : les entreprises françaises employant régulièrement leurs salariés et payant leurs cotisations sociales subissent une concurrence déloyale. C’est également un manque à gagner en termes de recettes fiscales, sociales, etc.
Si le travail réalisé par les étrangers sans titre organise une concurrence déloyale, c’est aussi un moyen pour les étrangers en situation irrégulière… d’être régularisés ! « L’admission exceptionnelle au séjour » est ainsi accordée chaque année à plusieurs milliers d’étrangers sur la base d’une activité professionnelle réelle mais non déclarée (18). Ce type de mesure, comme le travail détaché et l’ouverture toujours plus grande du marché du travail aux étrangers, est prise sous la pression des institutions européennes (19).
Pendant ce temps, le chômage en France reste à un niveau très élevé(20). Le nombre de chômeurs de longue durée continue sa progression. Comme si ceux-ci étaient désormais considérés comme un stock incompressible composé d’individus inemployables. La population jeune n’est pas en reste : l’OCDE estime à 2,8 millions le nombre de jeunes en France qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Parmi eux, 40% seraient issus de l’immigration (21). Dans ces conditions, l’ouverture toujours plus grande du marché du travail français et la pression à la baisse sur les rémunérations ne sont pas sans risque. La révolte des gilets jaunes et la montée des partis dits populistes pourraient bien en être une illustration.
Paul Tormenen
(1) « Rapport d’information sur le détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne ». Assemblée nationale. 19 octobre 2017.
(2) « Salaires et coût du travail en Europe ». Insee. 2017.
(3) « La lutte contre la fraude au travail détaché ». Cour des comptes. 2019.
(4) « Travailleurs détachés, combien sont-ils ?». Le Figaro, 12 février 2017.
(5) « Rapport d’information sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs ». Assemblée nationale. 29 mai 2013.
(6) « La France menace de plus appliquer la directive sur le travail détachés ». Challenge. 4 juillet 2016.
(7) Ordonnance 2019-116 du 20 février 2019 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
(8) « Travailleurs détachés, la victoire de Macron ». Libération. 24 octobre 2017.
(9) « Ordonnance Travail de transposition de la directive du 28 juin 2018 sur le détachement du salarié ». Hervé Guichaoua. 23 février 2019.
(10) « Le gouvernement abandonne la taxe sur le travail détaché ». BFM TV. 20 décembre 2017.
(11) « L’admission au séjour. Les titres de séjour ». Ministère de l’intérieur. 15 janvier 2019.
(12) « Etude d’impact de la loi asile et immigration ». Assemblée nationale. 20 février 2018.
(13) « 2019, vers un nouveau record pour l’emploi des cadres ». La Tribune. 20 février 2019.
(14) « Pénurie d’informaticiens en France : la chasse aux compétences maghrébines tourne au braconnage ».Chankou.overblog. 22 février 2019.
(15) « ‘L’émigration permanente vers l’Europe prive l’Afrique de ses jeunes les plus brillants’. » Le Figaro. 15 février 2019. Voir également l’article sur le livre « Exodus » sur le site de Michèle Tribalat.
(16) « Emplois, rémunérations, les diplômés des grandes écoles moins bien lotis qu’on le croit ». Capital. 16 juin 2015.
(17) « L’expatriation des ingénieurs, un phénomène croissant ». Jobingénieur.« Hausse du nombre d’expatriés français ». RFI. 10 mars 2017.
(18) « Plan caché de régularisation de sans-papiers : de quoi s’agit-il ? ». Le Figaro. 19 avril 2018.
(19) « Le recrutement des travailleurs immigrés. France 2017 ». Page 300. OCDE.
(20) « Chômage: Le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 1,1% au quatrième trimestre ». 20 minutes. 25 janvier 2019.
(21) « En France, 40% des jeunes sans emploi sont issus de l’immigration ». Valeurs actuelles. 21 janvier 2019.
Source : Correspondance Polémia