On projette la création du « tribunal criminel » qui, composé seulement de magistrats, jugera les crimes punis jusqu’à vingt ans tandis que les cours d’assises, avec leur jury populaire, demeureront compétentes pour les affaires les plus graves, jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité comme les meurtres ou les assassinats.
Je devine l’argumentation qui sera développée pour battre en brèche la dénonciation de cette dégradation, de cette dénaturation par le bas parce que la majesté tragique et populaire du haut devenait insupportable pour un régime qui veut bien de la symbolique pour la présidence mais l’exclut pour la société.
On pourra faire valoir tout ce qu’on voudra – rapidité et simplicité ? – mais il est clair que si on garde le peuple pour le jugement de certains crimes, on va allègrement s’en séparer pour l’appréciation d’autres transgressions comme, par exemple, les viols, les vols à main armée et les coups mortels au sujet desquels je perçois mal l’obligation de se priver des citoyens quand ils seraient nécessaires ailleurs.
Le fait que des dossiers criminels soient correctionnalisés, notamment des viols, ne justifie pas techniquement et judiciairement l’exclusion du jury populaire quand on les a considérés comme trop graves pour les faire échapper aux cours d’assises.
C’est le peuple dont on veut réduire la part, la mission, la présence parce qu’il est insupportable avec son désir de rigueur, sa conscience de la gravité des choses et son incroyable intuition collective pour donner à chaque crime, à chaque accusé, le champ et la décision justes.
Aussi, quelle surprenante contradiction que celle d’un gouvernement qui n’a pas lésiné sur la démagogie, ces derniers mois, au sujet des atteintes causées aux femmes et qui trouve le moyen, pour appréhender les plus scandaleuses – les viols -, de faire sortir le peuple par la fenêtre alors que, dans le débat d’aujourd’hui, il aurait été beaucoup plus légitime que quiconque (en tout cas que les seuls magistrats) pour relever le défi de ce fléau criminel.
Pour aller plus loin, il me semble que, dans cette approche à l’évidence concertée entre le garde des Sceaux et le président de la République, il y a davantage que cet apparent besoin de simplifier, de mutiler par efficacité et de banaliser par facilité. Je sens, en effet, une tendance propre au « macronisme » de ne rien prendre véritablement au tragique – sauf pour des points de vue validés par un humanisme rentable – et, donc, de concevoir sans état d’âme des processus et des réformes éliminant absurdement la symbolique du peuple des cours d’assises et des crimes parce qu’elle est, dorénavant, jugée inutile et superfétatoire.
Parce que ceux qui réforment ne savent rien de cet univers criminel unique et de la richesse absolue qu’apporte le citoyen à tous les procès d’assises.
Parce que ceux qui, en masse, vont approuver ce projet de loi ignorent tout de ce monde et s’imagineront, de bonne foi, qu’on peut rendre hommage à une institution exemplaire en la rendant hémiplégique.
Ce serait un drame intellectuel et judiciaire que de poursuivre ce mouvement délétère en exilant un peu plus le peuple de ce qui le regarde et qui lui offre encore l’honneur d’attacher son intelligence et sa sensibilité à l’examen de tous les crimes. Sans frontières artificielles entre eux.
Le président de la République a fait beaucoup pour la France avec la symbolique du pouvoir, de son pouvoir. De quel droit, alors, peut-il si légèrement décréter que la Justice criminelle sera dépouillée de sa symbolique et le peuple de sa mission ?
Philippe Bilger – Boulevard Voltaire