Par Alain Sanders
« Il ne devrait pas y avoir en France de mémoire perdue. Il ne devrait pas y avoir d’oubliés de l’histoire », écrivait récemment un journal du matin après la reconnaissance, par l’Assemblée nationale, de la responsabilité de l’Etat français dans l’exil forcé en métropole de 1615 mineurs réunionnais dans les années soixante.
C’est indéniablement une page douloureuse – et d’abord pour ceux qui furent des victimes de cette aberration décidée, dans les années soixante, par le Premier ministre de l’époque, Michel Debré, alors député de la Réunion. Un Debré en dessous de zéro, un Michou-la-colère rampant comme une groupie de pianiste devant De Gaulle…
Mais aussi injuste – et même plus que ça : inhumain – que fût ce déracinement d’enfants (enveloppé de surcroît de « nobles » motifs charitablement laïcards), les victimes de cette injustice, de cette inhumanité, sont vivantes. Elles ont pu, elles peuvent, elles pourront témoigner. Elles ont pu batailler et obtenir – au moins en partie – gain de cause. Le texte voté par l’Assemblée reconnaît que « l’Etat a manqué à sa responsabilité morale » et demande que « tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leurs histoires personnelles ».
On pourrait souligner, au passage, le cas de Jean-Jacques, « déraciné » en 1966. Un passage dans un foyer. Un placement chez des paysans, des braves gens. Mais, plus tard, une adoption par un couple de Saint-Vaast-la-Hougue (Manche). L’homme, un instituteur communiste, l’emmènera aux fêtes de L’Huma. Mais pire : après la séparation du couple, resté avec son père adoptif, Jean-Jacques sera violé par lui à plusieurs reprises…
« Si l’histoire ne se gomme pas, que le travail de mémoire et de transmission soit fait », écrit encore le quotidien très donneur de leçons évoqué plus avant. Bravo !
Bravo, mais il ne faudrait pas – comme c’est le cas – qu’il y ait des « oubliés de l’histoire » que l’on tire de l’oubli et d’autres qu’on oublie et qu’on s’applique même à enterrer sous le mensonge et la haine. En l’occurrence, je pense aux harkis. Massacrés par dizaines de milliers, eux. « Oubliés » et pire : gommés. Enterrés d’abord par la camarilla gaullarde autour de la Grande Zohra, des Debré (play it again, Sam…), des Messmer, des Joxe, des généraux gamellards et tutti quanti. Puis par leurs « descendants ».
C’est une reconnaissance – à tous les sens du terme – qui est due aux harkis. En 1962, ces soldats de France sont désarmés, livrés pour quelque 150 000 d’entre eux aux couteaux des égorgeurs, tandis que les quelques milliers de rescapés (sauvés par des officiers qui refusèrent d’obéir aux ordres commandant de les abandonner) connaîtront l’humiliation et l’enfermement dans des camps insalubres (certains existent encore, plus d’un demi-siècle plus tard…).
On comprend bien que l’affaire, douloureuse en soi, des « Réunionnais de la Creuse », soit exploitée par la gauche parce qu’elle vient titiller les résidus gaullistes de l’UMP. Mais « l’affaire » des harkis, elle, pas question de lui faire une place dans « la mémoire collective » (1). Parce que ce « cas » se heurte à l’omerta de tous ceux là, extrême gauche, gauche, droite gaulliste (un Philippot et un Dupont-Aignan compris), qui ne veulent surtout pas qu’on parle des ces « oubliés de l’histoire », une histoire où leurs prédécesseurs idéologiques marchèrent la mano en la mano. Les uns portant les valises du FLN, les autres permettant le massacre des Français d’Algérie, de toutes origines et de toutes confessions, et fermant les yeux sur le génocide des harkis.
« Il ne devrait pas y avoir en France de mémoire perdue. » Je signe des deux mains. Ma mémoire, à moi, elle va d’abord à ces Français musulmans trahis et sacrifiés par l’Etat français. Pour le reste, je verrai plus tard.
(1) Ericka Bareigts, députée PS de la Réunion, a déclaré : « Nous devons faire une place à ses enfants dans notre mémoire collective ». Vous reste-t-il assez de place, Madame, pour y faire aussi une place aux harkis et à leurs enfants ?