Jean Douchet, l’enfant agité est un documentaire réalisé par trois jeunes diplômés de la Fémis, la prestigieuse école de cinéma de référence à Paris, en hommage à leur professeur préféré. Nous avons eu l’occasion de les rencontrer : une telle fascination pour des enseignants est de nos jours fort rare ; elle est en soi bien sympathique. Surtout, elle est tout sauf absurde, car Jean Douchet est un puits de culture cinématographique. Jean Douchet est désormais un octogénaire avancé. Il est le dernier survivant de la génération des Cahiers du Cinéma de la grande et bonne époque, sous la direction d’Eric Rohmer dans les années 1960. Comme beaucoup de choses en France, cette revue est devenue folle par la suite, dans l’ambiance de 1968, en tentant de plaquer la démarche structuraliste – déjà largement une imposture – sur la critique cinématographique. Jean Douchet, libéré en un sens des Cahiers, a poursuivi très librement et durant des décennies son travail de critique. Aussi, des années 1970 à nos jours, Jean Douchet a sillonné les cinémas et ciné-clubs de toute la France, de Dunkerque à Nice. Le film propose quelques extraits de ces rencontres, dont en particulier une avec des cinéphiles locaux à Laon en 1982. Jean Douchet s’y montre grand pédagogue. On est aussi étonné par le niveau culturel, la capacité d’élocution, du public de Laon en 1982, qui n’est absolument pas composé d’universitaires ; on mesure ainsi le gouffre dans lequel nous ne cessons de tomber depuis.
Jean Douchet, l’enfant agité, un portrait et un itinéraire cinématographique très intéressants pour tous les amoureux du cinéma
Le spectateur voyage dans le temps et l’espace, entre films, festivals, colloques et cours, en suivant Jean Douchet. Les cinéphiles ne peuvent qu’être ravis. Jean Douchet aime vraiment le cinéma, en soi, et aussi la vie en général, la bonne chère et les bonnes bouteilles, et ce en connaisseur dans tous ces domaines. Le personnage est certainement sympathique et pittoresque. De nombreux témoignages abondent en ce sens.
Nous déplorerons seulement, outre une flatterie facile et fort discutable assurant qu’il aurait été aussi un réalisateur génial s’il s’en était donné la peine – rien n’est moins sûr – deux éléments qui dérangent dans ce documentaire. La première, rançon à notre époque folle, est la dénonciation par des amis bien informés des mœurs personnelles et particulières de l’artiste ; remarquons que lui-même a toujours eu la pudeur élémentaire de n’en jamais parler, et esquive encore avec art les questions indiscrètes à ce sujet dans ses entretiens du film. La deuxième est une démarche hagiographie étendue abusivement aux conceptions philosophiques de l’auteur. Elles relèvent d’un matérialisme puisant chez Lucrèce, très banal et très daté, à la mode des années 1900 ; cet archaïsme incongru s’avère fort décevant pour un personnage de son envergure et aussi cultivé.
A l’exception de ces deux fausses notes, Jean Douchet, l’enfant agité propose un portrait et un itinéraire cinématographique très intéressants, qui s’adressent à tous les amoureux du cinéma.