Geneviève Dormann est décédée

L’écrivain et journaliste est décédée ce vendredi 13 février, à l’âge de 81 ans. Connue pour son esprit insolent, elle avait reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Le Bal du dodo. Elle intimidait les journalistes, surtout ceux qui se mêlaient de détruire sa réputation de garce ou d’écrire des platitudes sur son compte. Ses rugissements et son sourire révolté lui valurent les surnoms de «luronne», «tigresse», «hussard en jupons», bien qu’elle préférât les pantalons. Geneviève Dormann, l’auteur insolent du Bal du Dodo, s’est éteinte, elle laisse derrière elle une dizaine d’ouvrages et trois prix littéraires. Son vif tempérament d’écrivain avait donné naissance à mille légendes authentiques ou inventées à laquelle elle donnait crédit par son goût de l’anecdote et du canular.

Fille d’un ministre des anciens combattants sous la troisième République, dont elle conservait les médailles dans une boîte à chaussures, Geneviève Dormann est née à Paris en 1933. Enfant turbulente, elle va de pensionnat en pensionnat, où elle donne du fil à recoudre aux religieuses les plus patientes. Elle invente des techniques de sioux pour lire des livres interdits sans éveiller de soupçons. Ses dimanches, Geneviève les passe en colle, où elle bâcle ses devoirs, apprend par cœur des tirades de Racine hors programme ou traduit de l’anglais Enoch Arden de Tennyson, juste pour le plaisir. La petite Dormann, qui méprise les maths et adore la littérature, fuit la moyenne de la classe, ce rang médiocre et tellement ennuyeux comparé au plaisir de coiffer le bonnet d’âne. Dans les classements, elle est première ou dernière, jamais au centre, dont elle a toute sa vie une sainte horreur. De ces années passées dans les couvents, Geneviève garde une attirance farouche pour la désobéissance, quelques cantiques, et une petite foi qui lui fait croire aux miracles.
Une femme qui haïssait les distinctions

À dix-sept ans, sans le bac mais avec une détermination de fer, elle épouse le peintre Philippe Lejeune. Ils échangent leurs consentements dans la chapelle de Nuits-Saint-Georges qu’il a décorée. Comble de la provocation, la Vierge Marie, sur un vitrail, porte les traits de la jeune mariée. Cinq ans et trois filles plus tard, elle se remarie (pour cinq ans aussi) avec le scénariste Jean-Loup Dabadie, dont elle a une autre fille. Durant ces «plans quinquennaux», elle apprend à faire bouillir la marmite, puisqu’elle a le don d’épouser des maris fauchés et inconnus qu’elle quitte riches et célèbres. Du moins c’est ainsi qu’elle se justifie. En 1959, Geneviève débute une carrière dans le journalisme. Sa plume, sa verve et son insolence lui ouvrent les portes du Nouveau Candide, Marie-Claire, le Figaro Littéraire. La même année, elle publieLa Fanfaronne, son premier roman. Et assiste à son premier (faux) miracle. Elle reçoit des courriers dithyrambiques de Gaston Gallimard, de Montherlant qui s’exclame: «Une nouvelle Colette est née!», et d’Hélène Lazareff qui lui promet monts et merveilles à Elle. Euphorique, la nouvelle romancière s’apprête à fêter cette entrée fracassante en littérature lorsqu’elle apprend que ces compliments sont de la main de son ami Roger Nimier. Bonne joueuse, Dormann a toujours été pleine de reconnaissance pour celui qui lui apprit à ne pas courir après la gloire et les médailles. Ce hussard en jupons partageait avec Nimier la désinvolture, la haine des courbettes, le don de tout transformer en rire.
Geneviève Dormann a beau haïr les distinctions, – en 1972 elle refuse d’être faite chevalier des Arts et des Lettres – elle se résout pourtant à en accepter quelques unes. En 1975, son cinquième roman, Le Bateau du courrier obtient le prix des Deux Magots. En 1983, Le Roman de Sophie Trébuchet décroche le Kleber Haedens. Dans cette biographie romancée de la mère de Victor Hugo, Dormann raconte le parcours d’une royaliste un peu girouette partagée entre l’envie de chouanner et celle de détester les prêtres, qui épousa un officier républicain. Toute ressemblance entre l’auteur et son amazone d’héroïne n’est certainement pas fortuite. En 1989, elle publie Le Bal du dodo, une saga grinçante couvrant trois siècles de l’histoire d’une famille française exilée à l’Ile Maurice. Avec ce roman, récompensé par le Grand prix du roman de l’Académie française, elle réalise son souhait «d’être best-seller pour avoir des sous et être lue.»
Un esprit fusant réclamé partout

En 1991, elle tire le portrait de tous les fauves de pierre ou de bronze de la capitale et confesse son rêve de finir comme sainte Blandine, dans Paris est une ville pleine de lions. En 1994, elle publie un portrait d’Apollinaire entrelardé de recettes de cuisine. C’est toujours avec gourmandise et gloutonnerie que la critique reçoit les livres de Geneviève Dormann. Sauf quand celle-ci coécrit avec Régine Deforges des ouvrages sur le point de croix. Elle essuie alors les sifflets du milieu. Sans caler, Geneviève Dormann passe du roman historique à la broderie pour jeunes filles romantiques. Et si certains l’en raillent, elle lâche avec panache: «Il faut bien permettre aux cons de s’exprimer.» Pendant deux décennies, son esprit fusant est réclamé partout. On lui demande son avis sur les «machos», le grand Louvre de Mitterrand, les socialistes qu’elle, anarchiste et non républicaine, tient en horreur. Elle n’a pas sa langue dans sa poche, et sa franchise lui vaut quelques brouilles, quelques chagrins aussi. C’est là qu’apparaît une autre Geneviève Dormann. Une femme fragile et naïve sous ses coups de griffes. Une grande gueule qui se faisait rare à la télévision tant elle en avait la frousse. Cette fanfaronne avait trouvé le meilleur des pare-chocs dans sa réputation de garce. Voilà pourquoi elle y tenait tant.

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