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Par Gaëlle Chamarande
Je n’aurais jamais imaginé me retrouver un jour nu comme un ver sous un sapin. C’est incongru mais assez drôle quand on y pense. On a déposé des offrandes à mes pieds comme si j’étais une déesse grecque. Pas facile de rester naturelle, pourtant j’essaye de prendre une pose gracieuse. Je me concentre pour ne pas sourire, afin de ne rien ajouter au ridicule de la situation. Parce que l’heure est grave.
A ma gauche : Martha. Mon amie depuis l’enfance. Elle est tout sourire, elle a mis sa robe orange des grands jours, celle qui « fait tomber les hommes comme des mouches », et son bandeau assorti. Le grand jeu quoi. Elle est résolue à ne pas me regarder parce qu’elle sait qu’elle poufferait de rire et que moi aussi. Je la sens prête à craquer et je résiste comme je peux.
A ma droite : Lucinda. Ma sœur. Que ça ne fait pas rire du tout. Lucinda est mariée depuis toujours me semble-t-il, elle a quatre enfants parfaitement éduqués et se rend à l’église pour un oui ou pour un non. Elle prêche la bonne parole et je suis La personne à qui elle adore faire la morale. Elle regarde l’objet du scandale. La petite boîte bleue qu’elle tient dans sa main contient la bague de mon arrière grand-mère. Elle m’était destinée mais quelque chose me dit qu’elle va repartir avec.
A côté de Lucinda : Emma. En grand deuil. Elle est veuve depuis deux ans et nous a prévenus : elle portera du noir toute sa vie. Emma est scandalisée mais ça ne m’inquiète pas plus que ça : Emma est toujours scandalisée.
Quand même tous ces objets… Quand je pense que je ne pourrai jamais les posséder… J’emporterai simplement mon dindon chéri, Vicente, qui m’a vu grandir et qui attend que ça se passe.
Alfonso, mon frère, nous a demandé de poser pour la photo comme si c’était le moment. En même temps, je prends conscience que cette image sera la plus révélatrice de ce que nous sommes toutes les quatre : Martha la joyeuse, Lucinda la bêcheuse, Emma la pieuse… Et moi, Anna l’aventurière.
C’est le jour de mes noces. Je m’apprêtais à épouser Josepe Galvani, un homme plus âgé que moi. Il y a une heure, Lucinda nous a surpris Antonio, mon amant de toujours et moi, dans une position qui ne laissait place à aucun doute sur la profondeur de nos sentiments. Je savais qu’il ne fallait pas. Pas le jour de mes noces. Mais je savais aussi que c’était la dernière fois.
Lucinda a hurlé, Josepe Galvani est parti après m’avoir giflée. Les invités, dont certains étaient hilares, ont été congédiés afin que nous puissions laver notre linge sale en famille.
Antonio et moi sommes restés là, nus comme des vers sur l’herbe sèche. Un remake d’Adam et Eve pour ainsi dire… J’ai croqué la pomme.
Alfonso, très amusé par la situation nous a demandé de poser après une heure de blabla et d’explications plus ou moins plausibles.
Je prends la pose telle un mannequin et je me fabrique un petit air honteux, comme si on pouvait encore me donner le bon Dieu sans confession !
En fait, j’ai envie de rire aux éclats, de prendre Antonio et Martha par la main et de courir nue dans les champs tout l’été. Et peut-être jusqu’à la nuit des temps.