Le 16 octobre 1793, sur la place de la République (aujourd’hui connue sous le nom de place de la Concorde), Marie-Antoinette d’Autriche, veuve Capet, ancienne reine de France et de Navarre, est guillotinée. C’est la fin de l’Ancien régime, et l’aboutissement de la lutte des révolutionnaires et du peuple français contre « l’Autrichienne ».
A l’annonce de sa mort, un homme, cependant, ne cache pas son chagrin : le comte suédois Axel de Fersen. Profondément affligé, il écrit : « J’ai maintenant perdu tout ce que j’avais au monde. […] Elle que j’aimais tant, pour qui j’aurais donné mille fois ma vie, n’existe plus. » De fait, l’amitié privilégiée que Fersen, a entretenue durant près de vingt ans avec la Reine est demeurée célèbre dans l’Histoire.
Le premier acte de l’histoire qui va lier Marie-Antoinette et le comte de Fersen se situe durant le mois de janvier 1774, alors que Fersen, âgé de dix-huit ans, se trouve à Paris pour s’initier à l’art exquis de la conversation française, et, fort beau garçon, connaît déjà un grand succès auprès des dames : certaines vont jusqu’à avouer qu’il a « un cœur de feu ».
La rencontre a lieu le 30 janvier 1774 lors du bal de l’Opéra, lieu de rendez-vous du monde distingué aussi bien que de gens douteux. Le Suédois passe la soirée à échanger des galanteries et plaisanter avec une ravissante jeune femme, qui, masquée, refuse de lui révéler son nom. Ce n’est qu’au moment de son départ que, la voyant s’éloigner accompagnée de toutes ses dames d’honneurs, il découvre soudain qu’elle n’est autre que Marie-Antoinette, Madame la Dauphine, future reine de France.
Cependant, à peine deux jours plus tard, la mort de Louis XV fait soudain de Marie-Antoinette la Reine de France et de Navarre. Désormais, Marie-Antoinette ne peut plus mener la vie d’une petite princesse insouciante. Ses responsabilités sont bien plus grandes : il lui faut se soucier des affaires de l’Etat aux côtés de son époux, le roi Louis XVI, et cesser ses escapades nocturnes à Paris, ses parties de plaisirs avec ses favoris et ses badinages incessants…
Pourtant, la toute nouvelle souveraine ne veut en faire qu’à sa tête. Etre reine, pour elle, c’est être la femme la plus admirée, la mieux parée et la plus adulée de la Cour. Et c’est aussi donner les plus belles fêtes, vivre dans le luxe et être maîtresse de ses désirs et de ses envies.
Et c’est pourquoi, quand, en 1778, après quatre années d’absence, Fersen revient en France, elle, qui ne l’a pas oublié, n’hésite pas à lui témoigner une attention toute particulière. Le jeune Suédois lui-même remarque cette bienveillance de la Marie-Antoinette à son égard et en fait part à son père : « La reine qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse a eu la bonté de s’informer souvent de moi (…) ». – tandis qu’à Versailles, les faveurs dont il jouit font bientôt jaser( toute la société de Versailles. A l’évidence, Marie-Antoinette doit être plus prudente – même si elle est désormais passionnément éprise du comte suédois et ne peut le cacher. Car sa réputation est en danger.
Bien heureusement, les circonstances viennent sauver la Reine : la guerre d’Amérique éclate et Fersen, qui veut se battre contre les Anglais pour l’indépendance américaine, s’engage dans le corps expéditionnaire envoyé par la France, sous les ordres du général Rochambeau.
Il ne revient en France qu’en 1783. Dès son retour il accourt à Versailles, où, grâce à l’appui de la Reine, il obtient immédiatement le commandement d’un régiment français. Puis, comme son père souhaite qu’il se marie — il a maintenant vingt-huit ans —, il fait la cour à la fille du Ministre des Finances français, Germaine Necker. Mais en réalité, il ne songe pas sérieusement à ce mariage. Dans une lettre adressée à sa sœur, il ouvre son cœur et dit : « J’ai pris mon parti, je ne veux pas former le lien conjugal, il est contre nature … Je ne puis être avec la seule personne à qui je voudrais être, la seule personne qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne. » Comment ne pas penser que cette « seule personne », c’est Marie-Antoinette ?
A cette époque, leur relation a évolué : tous deux sont désormais très proches. Bien plus : la Reine elle-même a changé, car elle a été très blessée par l’affaire du collier et la haine déchaînée contre elle. Bien plus calme et réservée, elle s’est retirée de la société des amuseurs perfides et des galants superficiels, et ne voit plus guère qu’un petit groupe d’amis qui lui demeurent fidèles.
Cependant, bientôt, les événements se précipitent. Le 14 juillet 1789, la Bastille tombe. Puis c’est le déménagement de la famille royale aux Tuileries et la proclamation de la monarchie constitutionnelle.
Fersen tente alors d’apporter son aide aux souverains. C’est lui qui organise secrètement la fuite de la famille royale à Varennes, dépensant sa propre fortune pour tout mettre en œuvre. Il sera même le cocher du carrosse jusqu’au premier relais. Malheureusement, son plan échoue : le roi et de sa famille doivent regagner Paris, tandis que lui-même se trouve contraint de demeurer à l’étranger, car sa tête est mise à prix. Il se rend alors à Vienne, essaie de convaincre l’empereur Léopold II de venir en aide aux souverains français, mais sans succès… La famille royale est abandonnée à son triste sort, et il demeure impuissant à éviter la mort de Louis XVI, puis celle de la reine.
Après la mort de la reine de France, Fersen se retire dans son château, en Suède, où il ne vit plus que de ses souvenirs. Son amour pour Marie-Antoinette et le remords de n’avoir pu la sauver le rongent pendant dix-sept ans. Jusqu’au jour où, le 20 juin 1810, il meurt à Stockholm au cours d’une émeute. Sa mort a lieu alors qu’il est en train d’escorter le corps du prince héritier qui vient de mourir. Accusé d’avoir empoisonné le prince, il est sauvagement lapidé et piétiné par le peuple en colère.
Ainsi périt celui à qui Marie-Antoinette écrivit dans une de ses dernières lettres : « Au revoir, vous qui êtes le plus aimé et le plus affectueux des hommes. Je vous embrasse de tout cœur ». On ne connaît pas réellement quelle fut la nature de leur relation. Certains prétendent que Fersen serait le père de Louis XVII, et d’autres, que l’amour qui l’unit à la reine de France serait resté « pur » et platonique et que jamais il ne fut consommé. Cependant, tous les historiens s’accordent sur ce point : ces deux êtres au destin tragique se sont follement aimés.