La France possède le troisième réseau diplomatique mondial, derrière les États-Unis et la Chine. Un outil formidable, héritier de pratiques séculaires, que de nombreux pays lui envient. Dans l’ouvrage Ethnographie du Quai d’Orsay, Christian Lequesne, professeur à Sciences Po, dresse un portrait des agents qui la composent.
• Combien de diplomates la France compte-t-elle?
Au 1er janvier 2015, le ministère des Affaires étrangères français comptait 14.264 agents. Sur ce nombre, 5868 étaient des fonctionnaires titulaires de leur poste, 2867 contractuels, 4941 employés selon le droit local étranger et 659 étaient militaires. Des chiffres qui représentent une baisse de 12% depuis 10 ans.
Si, néanmoins, le volume peut paraître important, c’est que la France a fait le choix de conserver l’universalité de son réseau, c’est-à-dire d’être présente partout, tandis que des pays comme le Royaume-Uni ont préféré régionaliser leurs ambassades. Les agents du ministère des Affaires étrangères françaises sont donc répartis aux trois quarts à l’étranger, dans les 178 ambassades et représentations permanentes, ou dans les 92 consulats généraux qui possède notre pays.
• D’où viennent les diplomates?
Longtemps, la diplomatie française a été indissociable de la particule. L’appartenance à la noblesse était une qualité innée nécessaire pour officier au Quai d’Orsay. Une réalité, héritée de l’Ancien régime, qui a survécu à la Révolution. Sous le Second Empire, 70% des ministres plénipotentiaires appartenaient à la noblesse. La IIIe République permet l’arrivée de nouveaux profils mais la proportion de nobles reste cependant de 44% en 1939. Cette chasse gardée a depuis été abolie. D’une part, parce que les enfants de diplomates ne veulent plus nécessairement embrasser la carrière de leurs parents. D’autre part, parce que le recrutement par concours a évincé la cooptation, largement pratiquée au XIXe siècle.
L’ouverture sur la société n’a cependant pas renversé toutes les barrières sociales: les fils d’ouvriers sont très peu nombreux au Quai d’Orsay. La majorité provient de familles issues, au minimum, de la classe moyenne et de familles aisées, si bien que les origines sociales sont maintenant les mêmes au ministère des Affaires étrangères que dans le reste de la haute fonction publique française.
Pas moins de sept concours peuvent ouvrir la carrière de diplomate. Certains candidats ont depuis longtemps pour objectif d’intégrer les Affaires étrangères, notamment les étudiants passés par les Langues O’ (Institut chargé d’enseigner les langues et les cultures extra-européennes). À l’inverse, les cadres issus de l’ENA choisissent bien souvent ce métier par défaut, faute d’avoir obtenu un classement leur permettant d’intégrer les grands corps de l’État.
• Y a-t-il des femmes diplomates?
Strictement masculine, la carrière diplomatique a officiellement été ouverte aux femmes en 1928, année où la possibilité de passer les concours leur a été offerte. La première le réussira en 1930. Il faut cependant attendre 1972 pour qu’une femme soit enfin nommée ambassadeur: Marcelle Campana, en poste au Panama.
Il y a maintenant plus de femmes que d’hommes travaillant pour le Quai d’Orsay: 53% des titulaires en 2013. Cette proportion ne doit cependant pas occulter qu’elles occupent des postes de niveau inférieur par rapport à leurs collègues masculins: 68% d’entre elles sont des agents de catégorie C, c’est-à-dire des emplois d’exécution, contre 30% de catégorie A, les emplois de cadres. Malgré cette différence encore importante, la féminisation progresse puisque le nombre de femmes ambassadeurs est passé de 23 en 2013 (14%) à 48 en 2015 (30%).
• Comment les diplomates conçoivent leur rôle?
Selon Chrisitian Lequesne, on trouve chez les diplomates actuels deux grandes manières de voir la diplomatie française. D’une part, celle majoritairement pratiquée chez les agents entre 1958 et 2012, mettant en avant l’indépendance et le rang de notre pays. Il s’agit d’affirmer la singularité française face aux États-Unis ; d’apporter une attention particulière au monde arabe, notamment aux régimes laïcs, quand bien même ce sont des dictatures ; d’entretenir un lien privilégié avec les anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest ; enfin, de promouvoir la langue française comme un outil diplomatique. C’est dans cet esprit que la France a refusé d’intervenir en Irak en 2003 contre Saddam Hussein.
Seulement, cette vision gaulliste de la politique étrangère française, qui s’est épanouie sous la gauche comme sous la droite, est aujourd’hui en concurrence avec une vision plus «occidentaliste» de la diplomatie. Cette dernière a commencé à monter en puissance sous Nicolas Sarkozy et s’est poursuivie sous François Hollande. Elle considère la guerre comme légitime lorsqu’elle a pour but de défendre la démocratie occidentale. C’est dans cet esprit qu’ont été menées les dernières opérations en Libye, au Mali ou encore en Centrafrique. Il n’est pas certain que ces interventions auraient été menées dans l’esprit gaulliste de la diplomatie. C’est encore cette vision des choses qui a poussé Nicolas Sarkozy à réintégrer le commandement militaire de l’Otan en 2009.
(*) Christian Lequesne, Ethnographie du Quai d’Orsay. Les pratiques des diplomates français, Paris, CNRS Éditions, 2017, 258p.