Bruxelles veut faire la guerre aux cookies!

 Dans un projet de règlement présentée ce mardi, Bruxelles envisage d’obliger les opérateurs au blocage par défaut des «cookies tiers», ces petits fichiers déposés dans l’ordinateur des internautes qui permettent de les identifier et de reconnaître leurs habitudes. Ne sont pas visés les cookies placés par un éditeur de site pour reconnaître ses visiteurs et, par exemple, leur épargner de retaper un mot de passe à chaque visite. (…)
Le projet de règlement cible tous les autres cookies, dits «tiers», ceux qui servent à faire de la publicité ciblée, à mesurer l’audience ou partager des contenus sur les réseaux sociaux. Leur blocage par défaut obligerait les internautes à aller bidouiller dans les paramétrages de leur ordinateur. Une perspective très problématique pour le secteur de la publicité. «Il ne faut pas compter sur les internautes pour faire ce genre de démarche sur le terrain de la pub », estime Mats Carduner, président du spécialiste du data marketing Fifty-Five. (…)

Exiger des internautes une démarche proactive, à même, selon la Commission, de les prémunir de navigations saturées de pubs, relève d’une intention louable, mais semble méconnaître les réalités actuelles du ciblage publicitaire. «Toutes les entreprises liées à la pub en ligne seraient impactées: éditeurs, agences, intermédiaires du ciblage et annonceurs eux-mêmes, car ce sont ces cookies tiers qui permettent d’affiner le ciblage», affirme Frédéric Grelier, chief data officer de Weborama. Un acteur comme le géant français du retargeting Criteo qui, à ce stade, ne commente pas le projet de règlement, serait sérieusement ébranlé. Cotée au Nasdaq, la société prospère en effet sur un marché où elle utilise massivement les cookies tiers pour cibler les internautes. Elle est loin d’être la seule.

«Tout le monde dépose des cookies, explique Thierry Vallaud, directeur data de BVA. Les revenus des régies sur Internet sont très liés à l’utilisation de cookies tiers.» La quasi-totalité des éditeurs y ont recours pour enrichir leurs bases de données. «Certains cookies ont de vraies vertus. Ils permettent de proposer des publicités adaptées, pertinentes et donc non intrusives», souligne Bertrand Gié, directeur du digital du groupe Figaro. Les cookies délivrent de nombreuses informations qui, quand on les croise avec d’autres données collectées par l’éditeur sur son site, autorisent un niveau inédit de ciblage de l’internaute: à la bonne personne, au bon moment, en fonction des centres d’intérêt, du stade d’avancement de ses démarches d’achat, etc. Tout cela de façon anonyme, sans utilisation de données nominatives par exemple. Le Graal de la publicité numérique!

Mettre à mal cet écosystème dans lequel les cookies jouent un rôle clé risque de causer des ravages. Le Geste, syndicat des éditeurs de sites en ligne, se dit même catastrophé. «Il y a réguler et tuer, alerte Corinne Denis, présidente du Geste et directrice du numérique de Lagardère Active. Entre la nécessité d’éduquer et d’informer et le résultat de mesures aussi contraignantes qui supprimeraient la possibilité de faire de la pub, il y a un équilibre à trouver.»
Mais le comble serait que les nouvelles règles étudiées par Bruxelles ne fassent le jeu des GAFA. Google, Facebook, Apple ou Amazon évoluent en effet dans ce que les Anglo-Saxons appellent des «walled gardens», des «jardins emmurés». Dans leurs écosystèmes fermés, ces plateformes utilisent les cookies elles aussi, mais elles peuvent s’en passer, car elles se fondent surtout sur les identifiants de leurs membres pour faire de la collecte de données et donc du ciblage.

Pour Pierre Calmard, président d’iProspect France (Dentsu Aegis), s’il y a lieu de s’inquiéter, il faut tout de même relativiser. «L’écosystème trouve toujours les moyens de contourner les décisions des gouvernements, juge-t-il. Les législations sont souvent en retard sur la réalité technologique. Le problème des cookies est déjà largement contourné.» Pour les éditeurs, la solution pourrait par exemple venir de la mise en place d’une sorte de groupement d’intérêt économique, une zone rassemblant les sites les plus puissants à laquelle on pourrait accéder par un identifiant commun.

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