Entretien avec Maître Jerzy Kwasniewski, avocat, président de l’ONG polonaise pro-famille et pro-vie Ordo Iuris, co-auteur de l’initiative citoyenne contre l’avortement qui a été rejetée par la Diète en 2016 après les « manifestations noires ».
— Maître, pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qu’est l’Institut pour la culture légale Ordo Iuris ?
— L’Institut Ordo Iuris est une fondation avec deux grandes missions. Tout d’abord, il s’agit d’un groupe de réflexion juridique qui prépare des analyses et participe au processus législatif en tant que groupe de pression et en informant l’opinion publique. Ensuite, Ordo Iuris est un défenseur des droits de l’homme qui se concentre sur les droits fondamentaux découlant de la dignité humaine garantie par l’article 30 de la Constitution polonaise. Ces droits sont le droit à la vie et le droit aux soins de santé. Nous défendons aussi le mariage défini par notre Constitution comme étant une union entre un homme et une femme. Nous sommes un groupe de juristes qui consacrent leur temps professionnel à la défense des valeurs fondamentales, des droits naturels. Nous intervenons dans les procès et créons des précédents. Dans 80 % des cas, nous soutenons devant la justice des familles en conflit avec l’administration, quand on leur a pris leurs enfants ou quand il est porté atteinte à l’autonomie de ces familles.
— Vous soutenez aussi les demandes d’asile en Pologne de familles norvégiennes auxquelles l’assistance sociale norvégienne, le tristement célèbre Barnevernet, veut prendre les enfants…
— Notre intérêt pour la Norvège a commencé par les Polonais : il y en a environ 100 000 dans ce pays de cinq millions d’habitants. Le Barnevernet est particulièrement invasif, il porte très facilement atteinte à l’autonomie de la famille et au respect de la vie familiale garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. En Norvège, les enfants sont fréquemment retirés à leur famille sans jugement. Quand nous avons commencé à soutenir les familles polonaises, nous nous sommes aperçus que le problème concernait aussi les familles norvégiennes. Certaines familles norvégiennes choisissent de fuir leur pays pour pouvoir garder leurs enfants. Plusieurs d’entre elles se sont réfugiées en Pologne. Nous avons décidé cette année de les aider et il y a en ce moment deux familles qui ont officiellement demandé l’asile dans notre pays. La procédure dure déjà depuis quelques mois et nous sommes plutôt optimistes quant à son issue.
— L’Institut Ordo Iuris défend aussi les droits des enfants avant leur naissance, n’est-ce pas ?
— Nous défendons tous les enfants, qu’ils soient dans la phase prénatale ou postnatale de leur développement. La Constitution polonaise garantit le droit à la vie de chacun dès la conception, et cela a été confirmé par une décision de notre Cour constitutionnelle en 1997. Malheureusement, notre loi, adoptée avant notre constitution de 1997, permet trois exceptions à ce principe : lorsque la santé de la femme enceinte est menacée, lorsque l’enfant a été conçu à la suite d’un acte interdit par la loi (viol, inceste…), ou bien lorsque l’enfant conçu est porteur d’une anomalie congénitale grave ou d’une maladie grave et incurable, ce qui concerne en fait la quasi-totalité des avortements réalisés dans les hôpitaux polonais. On parle communément en Pologne d’avortements eugéniques et il s’agit, à la lumière de la récente position adoptée par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, d’une exception discriminatoire qui ne devrait pas exister dans les pays signataires de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
— Les victimes de cette exception, ce sont très souvent des enfants touchés par la trisomie 21 ou le syndrome de Turner, des anomalies qui ne sont absolument pas incompatibles avec la vie…
— Tout à fait, cette exception dans le droit sur l’avortement polonais menace en premier lieu les enfants porteurs de caractéristiques conférées par la trisomie 21, le syndrome de Turner ou le syndrome d’Edwards, car ces syndromes sont très faciles à détecter en phase prénatale. Et malheureusement, le diagnostic prénatal de ces syndromes, au lieu de servir à soigner et à accompagner, est utilisé pour opérer une sélection eugénique et tuer les enfants concernés.
— Des députés n’ont-ils pas justement saisi la Cour constitutionnelle sur cette atteinte au droit à la vie garanti par la Constitution polonaise ?
— En ce moment, cette autorisation des avortements eugéniques est attaquée de deux manières. D’une part, il y a l’initiative citoyenne « Arrêtez l’avortement ». Ce projet de loi citoyen a été déposé le 30 novembre à la Diète avec près de 850 000 signatures, ce qui est un énorme succès. Notre parlement va devoir en débattre et se prononcer d’ici au mois de février. D’autre part, un groupe de 100 députés a saisi la Cour constitutionnelle sur la question des avortements eugéniques qui discriminent les personnes handicapées. Cette saisine aurait dû intervenir il y a déjà très longtemps, mais cela n’avait jamais été fait. Elle s’appuie sur le jugement de 1997 qui reconnaît qu’il n’y a pas après la conception d’autre moment objectif qui pourrait être considéré comme le début de la vie humaine, et que donc la vie doit être protégée dès la conception sans discrimination aucune.
— Un autre projet citoyen concurrent a été déposé pour, au contraire, légaliser l’avortement à la demande, aujourd’hui interdit en Pologne. Les personnes à l’origine de ce projet ont affirmé avoir recueilli 400 000 signatures, mais Ordo Iuris conteste cela et a demandé au parquet d’ouvrir une enquête…
— Pour déposer un projet de loi citoyen, il faut recueillir au minimum 100 000 signatures. Les auteurs de l’initiative pro-avortement à l’intitulé trompeur « Sauvons les femmes » ont prétendu sur leur site internet en avoir recueilli près d’un demi-million. Le même jour, ils en déclaraient 371 000 au président de la Diète. Mais le compte des feuilles de signatures, qui peuvent contenir au maximum dix signatures chacune, a montré qu’il y avait un peu plus de 21 800 feuilles, et donc qu’il ne pouvait pas y avoir plus de 218 000 signatures, soit quatre fois moins que pour l’initiative contre les avortements eugéniques. La déclaration officielle au président de la Diète était donc mensongère, ce qui est grave de la part d’un comité d’initiative citoyenne puisqu’il est acteur du processus législatif. Le but était de toute évidence de manipuler l’opinion publique.
— Craignez-vous des pressions de l’Union européenne face à la volonté d’abolir les avortements eugéniques ?
— Les structures supranationales de l’UE se sont déjà à maintes reprises opposées aux normes du droit international dans le domaine de la protection de la vie, notamment en ce qui concerne la vie prénatale et notamment pour les enfants handicapés. Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a estimé dans une opinion récente que les avortements eugéniques étaient contraires à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, puisque cela discrimine les personnes handicapées. Mais il y a aussi la Convention relative aux droits de l’enfant qui garantit une protection à chaque enfant avant comme après la naissance. Ces normes internationales nous paraissent peut-être dépassées en Europe, mais il faut savoir qu’à l’échelle mondiale, sur 196 Etats, plus de 120 protègent la vie mieux que la Pologne aujourd’hui. En Europe, on observe malheureusement des pratiques à la limite du génocide. Ce qui se passe en Islande, au Danemark et aux Pays-Bas, et qui va se passer bientôt en France, avec les nouveaux tests non invasifs servant à l’extermination de certaines catégories d’enfants, pose de graves questions, y compris à la lumière des verdicts de Nuremberg. Ne s’agit-il pas d’une campagne menée par des Etats dans le but d’éliminer de la société, en les empêchant de naître, les personnes touchées par la trisomie 21 ?
Propos recueillis par Olivier Bault pour Présent
Photo : Jerzy Kwasniewski, président de l’ONG Ordo Iuris.