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Tout juste sortie du couvent, Jeanne, fille du baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds, emménage avec ses parents au château des Peuples, en la commune d’Étouvent, lorsqu’elle fait la connaissance de Julien. Elle épouse trois mois plus tard le jeune vicomte : sa vie ne sera plus désormais qu’une succession de renoncements et de désillusions…
Avec Une vie, Maupassant choisit d’inscrire son premier roman dans le même courant réaliste que Madame Bovary, sa principale source d’inspiration, qu’écrivit trente ans auparavant son ami et mentor Gustave Flaubert.
Le courant réaliste, rappelons-le, se définissait à l’époque par une volonté d’approcher le réel, par le développement psychologique des personnages et par la mise à mal de toute forme d’idéalisme, de poésie ou de lyrisme, au profit d’une peinture désabusée du quotidien.
Adaptée sur grand écran, Une vie aurait donc dû, en toute logique, verser dans le cinéma moderne. À savoir celui de l’individualisation, de l’intime, de la fêlure, du doute et du flottement, que représentaient à merveille le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague française, soit le règne de l’« image-temps » si chère à Gilles Deleuze.
Or, le film de Stéphane Brizé, par son excès de formalisme, son cadrage en 4/3 et son jeu d’ellipses incessantes – dont on se demande si elles n’auraient pas, pour conséquence, de gêner franchement la compréhension du récit chez les spectateurs n’ayant pas lu le roman –, se vautre dans le cinéma postmoderne, voire expérimental, dont les principaux représentants outre-Atlantique sont aujourd’hui Terrence Malick et Gus Van Sant.
Un cinéma abstrait, acausal et relativiste, aux images réflexives sur elles-mêmes : il n’y a pas de réponses, pas de vérité, seulement des pistes de réflexion.
Le spectateur est constamment sollicité. Et si jamais point une interprétation, celle-ci doit pouvoir être aussitôt mise en doute. En somme, la réflexion ne va nulle part et ne peut déboucher sur quoi que ce soit de tangible ou de définitif…
Comme si la « déconstruction » du sens constituait un quelconque moteur artistique ou intellectuel dans l’œuvre originale de Maupassant, Stéphane Brizé fait mystère des maux dont souffre Jeanne et de ses états d’âme, et n’aboutit, ce faisant, qu’à les rendre triviaux, sinon inexistants. Seuls des gros plans hystériques sur son visage – accablé jusqu’aux yeux – nous indiquent l’état déplorable de sa condition et de sa psyché.
Alors, tout ce qui faisait le sel du roman d’origine (dialogues à double sens, errance intellectuelle, réflexions personnelles, recueillement sur soi et deuil des espérances) laisse place à une œuvre étrangement elliptique et anormalement muette, très proche finalement d’un documentaire animalier…
L’histoire, en soi, est à peine respectée : Jeanne semble, dès le départ, désenchantée de la vie – ce qui saborde d’office le principal enjeu du récit – et, alors que son personnage devait très tôt éprouver du mépris pour un époux pingre et volage, se révèle nostalgique jusqu’à la fin des quelques (rares) bonheurs vécus à ses côtés.
Enfin, il résulte de cette adaptation par Stéphane Brizé l’impression désagréable que le roman de Maupassant a été détourné au profit d’une œuvre expérimentale, froide et désincarnée.
Une vie, peut-être, à laquelle il était clairement temps, au bout de deux heures, de mettre un terme…
On préférera, à l’avenir, revoir la version d’Alexandre Astruc, ou même le téléfilm académique d’Élisabeth Rappeneau.