Xavier Eman, journaliste indépendant, rédacteur en chef de Livr’Arbitres, vient de publier son premier livre : Une fin du monde sans importance (éd. Krisis). Cet ouvrage compile les chroniques de l’auteur parues dans la revue Eléments et sur son blog « A moy que chault ». Dans un style drôle et grinçant, on y suit les aventures d’un antihéros, François, se débattant, parfois malgré lui, dans un monde moderne, absurde et sans âme.
– Cette « fin du monde » est-elle inéluctable ?
— Peu d’événements sont totalement inéluctables, mais il faut reconnaître que la situation paraît fort mal engagée… Je pense qu’il n’y a en effet plus grand-chose à sauver, que la maladie est trop avancée, le corps trop rongé. Nous ne sommes plus au temps de la « conservation », ou même de la « restauration ». Il faut penser et inventer un « nouveau monde ». Pas ex nihilo bien sûr, comme dans les utopies gauchistes, mais conformément à notre génie français et européen, un nouveau monde à la fois radicalement différent de celui qui est en train de crever et fidèle à notre plus longue mémoire et nos valeurs chrétiennes. C’est un sacré pari, d’une ambition extraordinaire, mais il me semble aujourd’hui beaucoup moins utopique que de vouloir encore sauver quelques meubles branlants dans une maison fissurée de partout.
— La vie de François, votre antihéros, vous semble-t-elle représentative de celle de ses contemporains ?
— De beaucoup d’entre eux, hélas ! oui. Avec la petite différence que François, lui, est assez lucide sur l’inanité de sa condition et la vacuité du monde moderne, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des zombies ou apprentis zombies qui peuplent notre époque. Il y a fort heureusement des exceptions, mais il faut cependant reconnaître que les « hommes différenciés » se font tragiquement rares. Le rouleau compresseur du mondialo-consumérisme et du divertissement-abêtissement télévisuel s’est révélé d’une redoutable efficacité.
— Que répondez-vous à ceux qui vous rangent dans la catégorie des cyniques ?
— Je pense davantage me placer dans la catégorie des réalistes que dans celle des cyniques. Le cynique jauge de haut, d’un regard extérieur et condescendant, une situation dont il se plaît à ricaner. Pour ma part, je me place au cœur de la critique que je porte sur nos temps obscurs, je ne m’en exempte nullement, bien au contraire. Je crois que nous sommes tous, à des degrés divers, touchés par les maux de l’époque, et que beaucoup, consciemment ou inconsciemment, derrière le masque de « festivus », en souffrent. Je fais partie des gens qui vivent douloureusement cette « fin du monde » et, de ce fait, si j’évoque les travers et les ridicules du temps, c’est pour les dénoncer et les combattre, pas pour m’en repaître.
— Essayons de terminer cet entretien sur une note d’espérance…
— Vous savez, je ne pense pas que tenter de dire ou de décrire la vérité soit particulièrement « désespérant ». Pour affronter une situation, il faut d’abord poser un diagnostic le plus juste et le plus précis possible, si amer ou pénible soit-il. Je pense qu’on désespère beaucoup plus aisément les gens, et notamment les militants politiques, en les berçant de rêves et d’illusions et en leur masquant l’âpreté et la complexité du réel. Les constats sans fard et le pessimisme qu’ils peuvent engendrer ne doivent évidemment pas être des motifs de démission ou des justifications de l’aboulie, mais au contraire des armes affûtées pour affronter nos ennemis et leurs complices. Demain nous appartient ! Mais demain ne sera pas une copie d’hier. Il sera le fruit de notre révolution, intérieure puis collective.
Propos recueillis par Louis Lorphelin pour Présent