André Glucksmann n’est plus. Et avec lui, c’est une époque qui s’en va. Né en 1937, il devient l’assistant de Raymond Aron. Pour occuper son temps libre, il devient maoïste et traite les communistes d’alors de « révisionnistes bourgeois » tout en qualifiant la France de « dictature fasciste », à l’occasion d’un article publié dans la revue Les temps modernes.
Ayant un temps repris ses esprits, il rejoint le courant dit des « nouveaux philosophes », sorte de boy’s band intellectuel de l’époque. Il a ceci de commun avec Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut d’avoir une chevelure assez télégénique, ce qui n’échappe pas à la sagacité de Bernard Pivot.
En 1979, il refait à nouveau parler de lui en posant sur le perron de l’Élysée, en compagnie de Jean-Paul Sartre et de Raymond Aron. Il s’agit alors de favoriser le tourisme de masse dans les pays émergents. Ce sera l’opération dite des Boat People. Au passage, on notera que son communisme d’antan a été oublié dans ses bagages, eux-mêmes égarés au bureau des objets et idéaux perdus.
Jamais en retard quant aux concepts philosophiques aussi audacieux qu’improbables, il tient alors le combat d’Alexandre Soljenitsyne en URSS pour comparable à celui des intellectuels français engagés contre l’Algérie française. Osé, le concept… Mais qui ne tente rien n’a rien.
En 1977, il cosigne dans Le Monde, avec d’autres intellectuels, un communiqué exigeant la libération d’adultes accusés de pédophilie sur mineurs. C’est l’époque qui veut ça, dira-t-on.
En 1981, il soutient la candidature de Marie-France Garaud à l’élection présidentielle tout en commençant à se distinguer par un atlantisme forcené. Cherchez l’erreur. Après, il est de tous les bons coups. Il soutient la première guerre du Golfe en 1990. Quatre ans plus tard, aux élections européennes, il figure en bonne position sur la liste L’Europe commence à Sarajevo, menée par Bernard-Henri Lévy. Dans un élémentaire souci de charité chrétienne, on ne vous donnera pas le résultat sorti des urnes. En 1999, il soutient évidemment la ratonnade de l’OTAN en Serbie, la seconde guerre du Golfe en 2003 et l’intervention française en Libye, en 2011, puis en Syrie, un an plus tard. Tout en n’oubliant pas de justifier les bombardements israéliens sur la Bande de Gaza. À moments perdus, il occupe ses journées de RTT en militant pour Nicolas Sarkozy. Bref, un parcours sans faute.
Le lendemain de son décès, l’inénarrable Caroline Fourest a eu ces mots : « Nous perdons l’une de ces voix qui savent déchirer le silence et foudroyer l’indifférence. » Bref, l’action deux en un, un peu comme avec les shampoings. Mieux : « André Glucksmann était la figure même de l’engagement, passionné et souvent juste. » « Souvent »… le mot est charmant.
Ces mois derniers, le dernier hobby d’André Glucksmann consistait à lutter contre la « virilité poutienne » (sic), Caroline Fourest dixit. Si l’on résume, débarrassé de Super-Glucksmann, Vladimir, tsar de toutes les Russies, a désormais le champ libre pour mener à bien ses sombres desseins de domination planétaire. À quelques jours de la sortie du prochain épisode de la Guerre des étoiles, ça tombe pile-poil.
En matière de comique troupier, on reconnaîtra donc à André Glucksmann une stature hors du commun, voire à jamais indépassable.