Une fabuleuse exposition au palais d’Iéna, à Paris, permet de (re)découvrir un des plus grands photographes français vivants, exilé en Amérique depuis soixante ans.
Elvis Presley en noir et blanc. Resplendissant, il revient du service militaire et pose devant un gâteau d’anniversaire en forme de guitare offert par l’un de ses nombreux fans Jackie Kennedy en couleurs. Voilée, elle se penche sur le drapeau américain couvrant le cercueil de son mari . On connaît ces photos sublimes mais le nom du photographe? Cette injustice sera heureusement bientôt réparée puisqu’on pourra découvrir l’œuvre passionnante d’Henri Dauman dans l’incroyable salle hypostyle du palais d’Iéna, à Paris.
Connu pour son travail au magazine américain Life, un des journaux qui accorda longtemps une place prépondérante au photojournalisme, Dauman a eu une vie extraordinaire. Né en 1933 à Paris, il échappe à la rafle du Vél’d’Hiv, est caché par plusieurs familles, puis, devenu pupille de la Nation, se découvre un oncle d’Amérique qu’il file rejoindre à New York en 1950, un boîtier en poche. Très doué, le jeune homme devient correspondant pour Paris Match et Le Figaro, travaille pour Newsweek et rejoint le saint des saints, Life Magazine. Son génie éclate, à tel point que certains de ses clichés inspireront directement les jeunes Turcs du pop art, dont Andy Warhol et Roy Lichtenstein, qui signent des toiles revisitant son propre travail. C’est que Dauman n’est pas un photographe comme les autres: lorsqu’il «shoote» les nombreuses stars dont il croise le chemin -Liz Taylor, Marilyn Monroe, Federico Fellini, Jane Fonda, Alberto Giacometti, Brigitte Bardot, Miles Davis, Yves Saint Laurent ou Louis Armstrong, entre des centaines d’autres-, il s’échappe avec grâce du style glamour de ses pairs et, en authentique reporter, en tire ce qu’ils ne donnent jamais lors des traditionnelles photos posées.
Il joue aussi avec le cadrage, et s’adonne avec joie aux «séquences», ces séries de photos prises au moteur, qui racontent une histoire: il faut voir celle représentant, en plusieurs instantanés, Liz Taylor en transe à un match de boxe avec Cassius Clay pour comprendre l’intérêt de l’exercice. Il expérimente, s’intéresse à la mise en page, à la répétition, à la déformation du grand angle, etc.
Mais Henri Dauman ne s’intéresse pas qu’aux stars: il court les rues et signe des reportages fabuleux, captant aussi bien la bohème de Greenwich Village que la dure réalité du Bronx, l’Amérique noire, le combat pour les droits civiques ou la démesure de l’architecture locale.
Outre sa technique et son instinct, c’est aussi son regard qui fascine: celui d’un Français sur une Amérique d’après-guerre en mutation. On sent dans ses images autant de fascination que d’amusement, voire d’ironie. Photographe star d’un magazine qui tirait chaque semaine à plus de huit millions d’exemplaires dans les années 60, Henri Dauman a été le témoin privilégié d’une vie à laquelle il avait tous les accès. Nul doute que son travail sera enfin apprécié à sa juste valeur lorsque les Français de 2014, vraisemblablement médusés, le découvriront enfin.
The Manhattan Darkroom. Henri Dauman, jusqu’au 4 décembre, palais d’Iéna, Paris XVIe.