Elle en a fait couler de l’encre, à l’époque, la mort de Philippe Daudet, le fils du grand polémiste d’Action française, Léon Daudet, et petit-fils de l’écrivain de réputation mondiale, Alphonse Daudet ! Comme pour Louis XVII, elle n’a pas fini d’en faire couler. Le fait qu’au centre de ces affaires on trouve un enfant rend plus dramatique encore ces sujets.
Suicide ou assassinat ? Dans le cas de Philippe Daudet, c’est la question, jamais résolue, que l’on se pose en effet, depuis le 24 novembre 1923, date à laquelle on retrouva, dans un taxi parisien, le jeune Philippe (14 ans), mort d’une balle dans la tête.
L’intérêt du livre de Jean-Pierre Fabre-Bernadac, consacré à ce fait divers, ou à ce crime politique, selon les points de vue, c’est que l’auteur est un ancien officier de gendarmerie qui, pendant toute sa carrière, a mené de nombreuses enquêtes. Et il applique donc à ce dossier les techniques policières les plus rigoureuses pour tenter de percer ce mystère et d’apporter enfin une réponse définitive à la question : suicide ou assassinat ?
On a tué le fils Daudet : tel est le titre de son livre, ce qui semble indiquer qu’il a résolu l’énigme et qu’il nous apporte la solution. Je ne vous livrerai pas les termes de son dernier chapitre : « mes conclusions », d’autant qu’en toute hypothèse il n’est pas possible, presque un siècle après l’événement, d’apporter une réponse absolument certaine. Tout au plus peut-on faire bouger le curseur de ses propres interrogations dans un sens ou dans un autre. Mais Jean-Pierre Fabre-Bernadac le fait évoluer de façon non négligeable.
En fait, l’affaire Philippe Daudet est liée à l’affaire Berton, du nom de cette anarchiste qui a assassiné Marius Plateau en janvier 1923, après avoir tenté d’assassiner Léon Daudet lui-même. L’anarchiste Berton sera scandaleusement acquittée par la cour d’Assises de Paris, le 24 décembre 1923, et condamnée uniquement à verser un franc symbolique de dommages et intérêts à la mère de Marius Plateau, tandis que cette dernière est condamnée aux dépens, à hauteur de 2 226,60 francs ! Et il y avait pourtant eu rien moins qu’un assassinat, sans qu’un seul doute existe sur l’auteur dudit assassinat !
La mort de Philippe Daudet se situe donc dans ce contexte, et en particulier le contexte d’un mouvement anarchiste totalement infiltré et manipulé par la Sûreté générale (intimement liée au régime républicain).
Un très jeune homme surdoué
Quant à cette Germaine Berton, c’est un curieux spécimen d’anarchiste ultraviolent qui, en 1924, fera une tentative de suicide sur la tombe même de Philippe Daudet, au Père Lachaise. Elle écrira à la femme de Léon Daudet, en explication de ce geste : « Si Philippe est mort pour moi, aujourd’hui, je me tue pour lui. » Elle portait toujours sur elle, nous rappelle Favre-Bernadac, un médaillon reproduisant les traits de Philippe Daudet.
Tout cela est assez incompréhensible, proche de la folie.
Mais le comportement de Philippe Daudet recèle aussi une large part de mystère : ce très jeune homme surdoué, qui donne l’apparence d’être beaucoup plus âgé qu’il n’est (on lui donne 16 ou 18 ans, alors qu’il n’en a que 14), a fugué de chez ses parents, en leur volant une somme d’argent non négligeable ; il tente de s’embarquer au Havre, se cache à Paris, fréquente les anarchistes, leur annonce qu’il va abattre un homme politique.
Manœuvres policières, démence de l’anarchiste Berton, instabilité du très jeune Philippe Daudet, tous les ingrédients étaient réunis pour brouiller les pistes et empêcher que la vérité puisse éclater sur cette affaire.
Mais la vraie cible, la seule et unique cible, était Léon Daudet. Et l’homme, par sa formidable capacité à remuer les montagnes, à se battre face à l’adversité, a réussi à surmonter les souffrances d’un père et à écarter les filets d’un piège dans lequel on voulait le faire tomber. Le terrible drame laisse le souvenir d’une bataille effrayante, car elle trouve sa naissance dans la mort d’un enfant, mais dont au final Daudet et son clan en sont sortis plus forts.
- On a tué le fils Daudet, crime politique ou suicide des années 20, par Jean-Pierre Fabre-Bernadac, Godefroy de Bouillon, 266 pages, 26 euros.