Comment concevoir que cet écrivain ait pu traîner ses guêtres dans les milieux d’extrême gauche soixante-huitarde ? Membre de l’organisation maoïste Gauche prolétarienne ! Il est toujours aussi confondant de voir à quel point les enfants de la petite bourgeoisie peuvent s’enthousiasmer pour de pseudo-forces de progrès, qui encore aujourd’hui font florès… Car enfin, Olivier Rolin est avant tout un conteur mirifique. Surprenant, avec toujours une anecdote dans sa poche qu’il peut étirer, effiler à l’infini sans jamais ennuyer. Voilà bientôt trente ans qu’il roule sa bosse dans les méandres de sa mémoire, qu’il a grande, intarissable voire étourdissante. Il faut lire son Chasseur de lions (2008), qui évoque le pittoresque Eugène Pertuiset, aventurier français de la fin du XIXe siècle, perdu entre les toiles de Manet, la Patagonie, Bazaine et la Maison Dorée, boulevard des Italiens. Un monde lointain que l’auteur confond avec maestria avec un territoire romanesque, qui lui permet d’évoquer Orélie-Antoine Ier sans parler d’Antoine de Tounens. Mais il lui aurait fallu revenir sur les ouvrages de Raspail, qu’il a sans aucun doute lu mais qui n’est plus très recommandable depuis un certain Camp des saints. Passons sur cette petite mesquinerie…
Personnalité complexe donc, qui aime mêler le vrai et le faux, l’affabulation et la rigueur historique. De la haute voltige toujours finement ciselée, l’e dans l’o, l’être dans l’œuvre. Comment ne pas se laisser emporter par la magie du verbe fait écriture. Sombre également devant le temps qui passe, la vieillesse et la mort comme dans Bakou, derniers jours (2010). Préfère la volute à la ligne droite. L’ivresse des mots, des paysages, des sentiments. Tout y passe. Ses livres sont de véritables patchworks produisant in fine un sentiment de continuité, d’harmonie et de naturel. Car ce n’est pas un exercice facile que de concilier passé et présent (lire également à ce sujet Port-Soudan, 1994).
Le lecteur pourrait s’y perdre, l’auteur s’y confondre, l’inertie du monde l’emporter. Il n’en est rien. Et cette fois-ci, encore une fois, pourrions-nous dire, nous nous prenons au jeu. Russie soviétique des années trente, des années de terreur rouge, de procès et de purge. La Grande Terreur, qui n’est pas sans rappeler celle de 1793, fera des victimes par centaines de milliers. Alexeï Féodossiévitch Vangenheim, qui croyait « construire le socialisme », météorologue de son état, en fera la cruelle expérience. Déporté aux îles Solovki, dans la mer Blanche, il essayera de garder le contact avec sa fille à travers des carnets de dessins, afin que ces croquis l’éveillent à la science et lui rendent presque palpable une présence impossible.
Une des voix du Goulag, énième témoignage de la folie des hommes, témoignage qui ne doit pas s’éteindre.
Patrick Wagner
• Olivier Rolin, Le Météorologue, Editions du Seuil/Editions Paulsen, 2014. 208 p. 18 euros.
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