Merci pour ce moment et les sans-dents de Cosette Trierweiler

Déballage indécent, livre poubelle, suicide moral, assassinat politique, bombe politico-littéraire de la rentrée : d’Audrey Pulvar à Daniel Cohn-Bendit, les critiques faites au livre de Valérie Trierweiler, de la part de la classe politique, des libraires, des confrères, essentiellement de gauche, ne peuvent que susciter la curiosité. 200 000 exemplaires, rupture de stock en deux jours : son éditeur, Laurent Beccaria, neveu d’Hélie de Saint-Marc, n’a pas, comme à son habitude, manqué de flair.

?Le livre témoigne assurément, comme le dit Peggy Sastre, du « tragique surinvestissement sentimental des femmes » et de la féminisation de la vie politique, depuis longtemps stigmatisée par Eric Zemmour : puisque la politique est confisquée par Bruxelles, qui nous dicte nos « choix », ce sont les femmes qui sont médiatisées, et elles en profitent pour sortir brutalement de l’ombre. Jamais Anne-Aymone Giscard d’Estaing ni Bernadette Chirac, abondamment trompées, n’auraient exprimé par écrit leur dépit et leur désir de vengeance. Le livre de Valérie Trierweiler est emblématique d’un monde nouveau, et l’on sent bien que la réponse de François Hollande, au nom d’un monde ancien – « la fonction présidentielle doit être respectée » – ne fait pas le poids.

Les critiques ne peuvent pas reprocher à Valérie Trierweiler de n’être pas assez de gauche. C’est elle qui a suggéré que Léonarda finisse sa scolarité en France ; elle qui est « allée en première ligne » pour le « mariage » homosexuel, face à un « François Hollande pas convaincu au fond de lui », elle qui vante « une réforme emblématique de la gauche, qui restera peut-être sa seule marque dans l’histoire de France » ; elle encore qui encourage le droit de vote aux étrangers.

On ne voit pas non plus pourquoi les féministes condamneraient la vengeance d’une femme humiliée, répudiée, traitée, comme elle le dit elle-même, comme « une poupée vaudou que l’on peut insulter et traîner dans la boue ».

Malgré les fautes de français, d’orthographe, les expressions vulgaires – « j’étais raide dingue de lui » – j’avoue à ma grande honte que j’ai pris plaisir à lire ce Merci pour ce moment.

Elle ne dévoile pas des secrets d’Etat – qu’elle ignore d’ailleurs sans doute – mais elle dit ce qu’elle voit et d’abord que les ministres sont incompétents : « Leur nomination est le résultat de calculs d’appareil, d’un jeu de billard à plusieurs bandes. Certaines femmes ministres sont choisies sur catalogue », ou encore : « En dehors de Laurent Fabius, il ne faut pas être expert pour comprendre que la plupart des nouveaux ministres n’ont pas le niveau. » Leur choix est la résultante d’un « équilibre de courant, équilibre de sexe, équilibre régional ou de parti. Peu sont là pour leur compétence ».

Et bien sûr, c’est le portrait sans concession de François Hollande, brossé par une femme jalouse, qui nous séduit. On peut douter de la sincérité d’une femme follement jalouse, que la soif de vengeance aveugle ; on peut aussi penser que l’attention passionnée qu’elle porte à son amant aiguise sa lucidité. J’ai fait le pari de la croire, d’autant plus facilement qu’elle confirme ce que l’on peut deviner de François Hollande. Et la virulence des critiques ne s’explique que parce que, eux aussi, ils la croient.

Le mépris des pauvres – il l’appelait Cosette, et les « sans dents » sont inspirés de Hugo, seul univers pour celui, dit-elle, qui ne s’intéresse pas à la littérature – s’aggrave et se fait méchanceté quand, invité un soir de Noël par la famille de sa compagne – vingt-cinq personnes, mère, frères, sœurs, neveux et nièces – il commente : « Elle n’est quand même pas jojo, la famille Massoneau. »

Sans doute la jalousie de Valérie Trierweiler a-t-elle quelque chose de pathétique et d’enfantin, mais elle révèle aussi la duplicité tranquille d’un homme qui pratique le mensonge en politique comme il le pratique dans la vie privée. « Jure-moi sur la tête de mon fils que c’est faux », demande-t-elle à propos de l’idylle avec Julie Gayet. « Il jure sur la tête de mon fils » et ne veut plus qu’elle évoque « cette faribole ».

Ironie du cycle de l’infidélité ? Mais l’auteur dévoile aussi le mensonge de son compagnon dans l’élection Falorni-Royal à La Rochelle, et rappelle : « Combien de fois l’ai-je entendu, lorsqu’il était secrétaire du PS, encourager un candidat et tout faire, ensuite, pour qu’il n’ait pas l’investiture ? » Son incapacité à « gérer la situation entre la mère de ses enfants et moi » est le pendant de son incapacité à décider en politique.

On peut à bon droit être agacé par cette « petite fille de la ZUP nord » éblouie par les ors de la République et obsédée par son illégitimité. On peut s’étonner qu’elle ait été « émerveillée » par ce personnage falot – « Il me fait rire. Je suis épatée par son intelligence », alors qu’il n’était que secrétaire du PS. Mais justement cet émerveillement, toujours sensible dans ce livre – « sa force de persuasion est nucléaire », écrit-elle encore – plaide pour sa sincérité.

Et ses questions sont les nôtres. Le pouvoir, non reçu mais conquis par tous les moyens, agit-il « comme un acide » ? Rend-il autiste et introverti, comme le lui explique un psychanalyste : « L’introverti est incapable de tourner ses sentiments vers l’extérieur, il les renvoie en lui-même. L’introverti est totalement lisse, ne montre aucune émotion. Il veut être plus normal que la normalité, c’est une pathologie » ? Fait-il perdre, comme un psychiatre le lui affirme, « le sens des limites. On appelle cela le syndrome du gagnant » ? Ou bien Hollande est-il seul coupable, comme elle l’écrit ailleurs : « Le mensonge est ancré en lui, comme le lierre se mêle à l’arbre », ou encore : « C’est le roi du double discours, de l’ambiguïté et du mensonge permanents. »

Si sa vie publique est marquée par ce syndrome, sa vie privée l’est aussi, et c’est pourquoi on ne peut verrouiller, cadenasser l’une et l’autre. Après la répudiation, François Hollande veut la reconquérir : envois de fleurs, avalanche de textos – vingt-neuf en un seul jour : « Il m’écrit qu’il me regagnera, comme si j’étais une élection ».

Puisse-t-il être désormais marqué par le syndrome du perdant, puisque, selon Valérie Trierweiler, « il tient à sa popularité comme à la prunelle de ses yeux », et qu’il est en manque de « la drogue dure des meetings ».

On remarque dans ce livre « bouteille à la mer », où deux narcissismes s’affrontent, deux grands absents : Dieu et la France. Le pouvoir, pour l’un et pour l’autre, n’est pas un service, mais un plaisir solitaire.

Lu dans Présent

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