Qui était Nostradamus, inscrit cette année aux commémorations nationales ? 450 ans après sa mort (juillet 1566), l’auteur des Centuries se dérobe encore à une approche raisonnable. Michel Nostredame est né en décembre 1503 à Saint-Rémy-de-Provence. Il est issu d’une famille de juifs convertis un demi-siècle plus tôt et qui prirent alors ce nom marial auquel finit par s’ajouter, discrètement, une particule. L’astrologue le latinisa en Nostradamus, cela faisait plus sérieux comme enseigne. Cependant des explicateurs disent que se cache derrière une formule alchimiste : nostra damus, nous donnons ce que nous avons, nous transmettons notre savoir. Nostradamus frotté d’alchimie ? On ne prête qu’aux riches. Après tout, on en a bien fait un prophète cabaliste juif ou rosicrucien, ou le plus grand initié maçonnique de tous les temps, ou le détenteur du secret de Rennes-le-Château, secret qu’il aurait dissimulé dans ses prophéties ! Pourquoi pas le trésor de l’OAS ? Nostradamus, détenteur de secrets initiatiques de par ses origines juives et menacé par l’Eglise, cela occupe des tas de gens.
Concrètement, il était un homme cultivé comme le XVIe siècle en a connu beaucoup : helléniste, latiniste, herboriste, médecin – et astrologue… Après avoir étudié à Saint-Rémi et Avignon, il se forme et exerce à Montpellier, Narbonne, Toulouse, Bordeaux. Il séjourne à Agen, où il fait la connaissance de Jules-César Scaliger (1484-1558), érudit réputé, d’origine italienne. Entre Scaliger et Michel de Nostredame il y a amitié puis brouille définitive, « ainsi qu’il advient souvent entre les doctes », note un biographe de l’astrologue à la fin du XVIe. C’est bien connaître les doctes. A Agen, Nostredame se maria ; mais sa femme et leurs deux jeunes enfants étant morts lors d’une épidémie, il décida de retourner dans sa Provence natale.
Les pestes, ou toutes autres épidémies qu’on qualifiait ainsi, faisaient régulièrement leur apparition. Les compétences médicales de Nostredame le font rechercher en cas d’épidémies à Lyon, ou à Aix où il est appelé en 1546 pour une peste dont il a laissé une description aussi terrible qu’intéressante.
La peste se déclara le dernier jour de mai et dura neuf mois. Certains mouraient de frénésie, d’autres couverts de taches et de bubons. Se sachant contaminés, des Aixois préférèrent se défenestrer ou se jeter dans un puits. « Les cimetières étaient si pleins des corps morts que l’on ne savait plus lieu sacré pour les enterrer. » Les alabres, hommes spécialisés dans le transport et l’ensevelissement des pestiférés, étaient débordés. La contagion était tellement rapide qu’on en venait à croire que cette peste se transmettait d’un coup d’œil : « Toute la ville était tant infecte que seulement du seul regard que faisait celui qui était contaminé venait subitement donner infection à un autre. »
La ville seule était touchée, la campagne alentour était saine : de là à penser qu’il s’agissait d’une punition divine, il n’y avait qu’un pas.
Face à une épidémie d’une telle intensité, la médecine était impuissante : « Les saignées, les médicaments cordiaux, cathartiques [purgatifs], ni autres n’avaient non plus d’efficace que rien. » Même la célèbre thériaque d’Andromaque – mélange d’une cinquantaine de produits, codifié dans l’Antiquité et considéré comme une panacée – n’y faisait rien.
Finalement, une seule chose s’avéra efficace pour préserver de la contagion : une « poudre de senteur » composée de bois de cyprès, d’iris de Florence, de girofle, de roses rouges. Les gens qui se mettaient devant la bouche un sachet de cette poudre étaient protégés, au dire de Nostredame.
La description de la peste de 1546 à Aix-en-Provence se lit dans son ouvrage sur les fards et les confitures. Ce mélange des genres n’est pas appétissant ? Le livre publié à Lyon en 1555 est par bien des aspects un livre de vulgarisation en herboristerie ou en parapharmacie. Nostradamus fait cette description de la peste pour montrer l’efficacité de cette poudre de senteur dont il donne la recette (chap. VIII) : « Pour faire la principale matière pour poudre de senteur de parfaite bonté et excellence, qui est une odeur non étrange, mais rend une suavité agréable et de longue durée, mais il ne se peut faire qu’une fois l’an. » Michel de Nostredame médecin ? Ses dispositions le portaient davantage à la pharmacie.
Samuel Martin – Présent