Nos mémoires de 1967 se souviennent de ce documentaire, un chef-d’œuvre de plus de Pierre Schoendoerffer. « Cinq colonnes à la Une », le Vietnam, la guerre américaine, point d’ancrage d’un bras de fer entre le communisme et le monde « libre ». On se souvient des regards des soldats, Blancs et Noirs, emplis à la fois de certitudes et de questionnements, incrédules, se protégeant sous le réconfort omniprésent de la fatalité, aux yeux pathétiques imprégnés de tragédies. Mais aussi de ces regards angoissés des villageois pris entre deux feux.
On se souvient de cette ambiance d’insécurité pesante, de violence potentielle, de ces vies fragiles dissimulées derrière les visages d’ange des Congaï enveloppés de musique aigre-douce… An-Khé, la 1re Division de Cavalerie aéromobile, composée d’appelés aussi jeunes que les Viet-Cong qu’ils combattent, si proches, acteurs d’un théâtre où les silhouettes se seraient trompées de décor. Puissance de feu contre adversaire imperceptible, mécaniques bien huilées aux missions dérisoires, avec desblues bouleversants et la pluie toujours, en territoire dramatiquement inconnu.
Schoen maîtrise la caméra comme un pinceau, cadre le son et les textes comme les vers d’une poésie d’opéra, rend compte d’une atmosphère où les brouillards sont des nostalgies, au rythme d’explosions lointaines, tam-tams sauvages accompagnés des lancinants bruits étouffés de faune et d’ennemi, dont on sent qu’ils battent au rythme des cœurs.
L’Amérique elle aussi se souvient, Schoen, l’ancien de Dien Bien Phu et des camps viets, lui avait montré mieux que tout autre ce qu’était là-bas la vie de ses fils et la fraternité d’armes qui unifiait les classes et les races, elle avait pleuré devant la main blanche qui enserrait la main noire blessée. Les gestes antiques des guerriers venant du fond des âges dans des dragons blindés venus d’Occident par les airs.
Avec La 317e Section, on croit voir un documentaire mais on voit un film. Avec La Section Anderson, on croit voir un film mais on voit un documentaire. Ce document était introuvable. Il est sorti en DVD, publié par l’INA et complété avec bonheur dans la version collector par plusieurs bonus dont Réminiscence, les retrouvailles en 1989 de Schoen avec les survivants de la Section Anderson. Emotion. Pierre Schoendoerffer ou les chemins de l’aventure de Claude Santelli, et Pierre Schoendoerffer, la sentinelle de la mémoire, de Raphaël Millet.
A l’époque du grossier fanatisme de la repentance, il est bon de se souvenir que les victimes des « guerres coloniales », avatars du conflit Est-Ouest, ne sont pas mortes pour rien. A chaque fois, nous avons fixé et retardé le prétendu vent de l’histoire, nous avons affaibli notre ennemi principal jusqu’à ce qu’il se retourne finalement contre lui-même. Les morts, d’Indochine, d’Algérie et d’ailleurs, ont gagné la guerre le 9 novembre 1989 lors de l’écroulement à Berlin du mur derrière lequel mourait lentement un système qui avait mis en esclavage la moitié du monde pendant près d’un siècle.
Bernard Chupin
Lu dans Présent