Bernard Grué : “L’Espoir meurt en dernier” / En Indo avec la Légion (1949-1954)

Par Alain Sanders

Un mot, d’abord, de l’auteur de ce récit, de ce grand témoignage pour l’Histoire, Bernard Grué. Cyrard de la promotion « Nouveau Bahut » (1945-1947), il choisit la Légion et rejoint bientôt le 3e REI, stationné en Indochine, en mai 1949.

De retour en métropole (après des « aventures » que nous allons évoquer), il étudie à l’Ecole des langues orientales (il en est diplômé) avant de servir en Algérie comme capitaine. La suite ? Une belle carrière, mais qui nous retient évidemment beaucoup moins que son parcours en Indochine (1).

Ce qui nous passionne, en effet, c’est le destin indochinois de ce jeune officier qui sillonne la RC4 de Langson à Cao Bang. Et pas pour faire du tourisme militaire… A peine a-t-il repoussé une attaque sur le poste 41 Est dont il est en charge qu’il doit rejoindre Dong Khé. Mission : tenir l’un des points stratégiques de la vieille citadelle avec un canon de 57. Deux jours et deux nuits de combats face aux pilonnages et aux assauts des Viets.

Le 18 septembre 1950, Bernard Grué est blessé. Il est fait prisonnier. Commence alors, dans les camps de la mort du Vietminh, un « séjour » de quatre années. Au camp numéro 1, où il retrouvera notamment les colonels Chartron et Lepage, chefs des deux colonnes décimées au cours d’un repli historique et sanglant.

Bernard Grué décrit les longues marches des prisonniers : « Nous sommes une centaine au départ, tous rescapés des combats de la RC4, et nous allons nous déplacer de village en village, de campement en campement, dans toute la Haute Région. » Il ajoute : « Je ne peux m’empêcher de penser que si l’évacuation de Cao Bang avait pu se faire par voie aérienne, comme aurait dû le suggérer le bon sens, nous serions beaucoup moins nombreux dans cette galère aujourd’hui, et les meilleures unités d’intervention du Tonkin n’auraient pas été sacrifiées. » C’est une juste remarque. Suivie d’une juste question : « Etait-ce manque de moyens ou insuffisance de renseignements sur l’importance et les intentions des forces adverses ? » On a envie de répondre : les deux, mon colonel… Et Grué aussi : « Dans les deux cas, il y avait carence d’imagination et de prévision, c’est-à-dire faute de l’état-major. »

Le récit de ce « séjour » aux mains des Viets est sobre. Mais la mort qui rôde (même si le camp numéro 1 n’afficha « que » 30% de pertes, alors qu’elles dépassèrent les 70 % dans les autres, notamment au camp 113 où officiait le traître Boudarel) : le lieutenant Loup, le lieutenant Hippert, le lieutenant Béraud-Sudreau, le capitaine Cazeau, des adjudants à Ta-Bit, etc. Des tentatives d’évasion. Punies par la mort. La faim. La maladie. La « rééducation ». Des espoirs souvent déçus. Mais tout aussi souvent ranimés. Ce n’est pas un hasard si le récit de Bernard Grué s’appelle L’Espoir meurt en dernier

Un jour, nos prisonniers seront libérés. Saigon. L’hôpital Grall. Une vraie ville loin de l’horreur. Une soirée au Grand Monde à Cholon (tous ceux qui ont attrapé le « mal jaune » n’ont pas besoin que je m’étende sur le sujet…)

Le 10 septembre 1954, Bernard Grué embarque sur l’USS Haven, un navire-hôpital américain qui prendra en charge nombre de nos blessés. Avant de partir, une pensée pour ceux qu’on a abandonnés aux mains des Viets : « Les Thô, qui perdront bientôt leur spécificité pour devenir des Vietnamiens, tout comme les autres minorités montagnardes qui avaient pris notre parti et que les Français ont pris soin de désarmer avant de les livrer à la vengeance du peuple annamite victorieux. » Une sorte de répétition avant de faire la même chose en Algérie, somme toute.

Un récit d’homme. A hauteur d’homme. Sans effets spéciaux. Et plein d’espoir(s) malgré tout (2). Parce que l’espoir meurt en dernier.

• Editions du Rocher.

(1) De 1968 à 1971, il est attaché militaire à Moscou. De 1972 à 1973, il commande le 46e RI à Berlin. Il prend ensuite la direction du SDECE. Il quitte l’armée en 1978 et commence une nouvelle carrière (moins rock’n’roll, certes) dans un grand groupe pharmaceutique.

(2) On regrettera, à ce propos, que l’éditeur qualifie ce texte de récit « humaniste »…

 

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