Hervé Juvin, candidat sur la liste du Rassemblement national pour les élections européennes, est le rédacteur du manifeste du Rassemblement National à l’occasion de ces élections européennes, « Pour une Europe des nations » (à télécharger ici).
Hervé Juvin a publié nombre d’ouvrages essentiels (Produire le Monde, Le Renversement du Monde, La Grande séparation…) qu’il faut impérativement avoir lu pour comprendre le monde tel qu’il est, tel qu’il sera demain. Hervé Juvin est en quelque sorte le « dragon noir » de Jacques Attali. Au contraire des livres de ce dernier – qu’il faut lire, excellents au demeurant, pour comprendre le monde dont on ne veut pas demain pour nos enfants –, ceux d’Hervé Juvin, on les lit pour construire notre avenir…
D’où une certaine surprise de voir cet intellectuel entrer dans l’arène électorale alors que le niveau de réflexion du monde politique – à quelques rares exceptions – semble a prioriassez éloigné du sien. C’est pourquoi, avant son meeting qui se tiendra à Pleyben, nous l’avons interrogé. Sur sa campagne, sur ses idées, sur celles défendues par le Rassemblement national.
Breizh-info.com : Comment se déroule votre campagne pour les élections européennes ? Une première pour vous, en tant qu’homme politique…
Hervé Juvin : Vous avez raison. Les circonstances sont particulières. Pour la première fois, on a des listes nationales à ces élections pour le Parlement européen. Pour la première fois, on pourra changer l’Europe depuis l’Europe. Je voyais que ce matin le parti de Nigel Farage caracole en tête si les Britanniques élisent des députés (27 %, là où les conservateurs font moins de 15 %). Si j’additionne ce qui se passe en Italie, en Hongrie, en Tchéquie, ce qui vient de se passer en Finlande… il y a une vraie chance, pas d’avoir la majorité, mais d’en finir avec le duopole des socialistes et des conservateurs qui a eux seuls faisaient la pluie et le beau temps en Europe.
Breizh-info.com : Quand vous dites « pas d’avoir la majorité ». N’est-ce pas un problème d’alliance ? On a l’impression que les partis dits « populistes » avancent en ordre totalement dispersé alors même que les populations sont demandeuses d’alliance. Imaginez un groupe parlementaire unique pour ces partis, ce serait très fort non ?
Hervé Juvin : Vous avez deux composants. Globalement, l’UE ne tient pas les promesses qu’elle avait faites. C’est la base de ce mouvement — je ne dirai pas de révolte — mais de mécontentement des peuples un peu partout en Europe. C’est une composante qui pousse vers l’unité.
Mais ensuite, vous avez une composante essentielle : chaque pays, chaque nation, a ses priorités, souvent différentes. Et cela ne rend pas aisée la composition d’un grand groupe européen regroupant tous ces partis populaires. C’est l’habituelle contradiction que les politologues soulignent, entre des mouvements nationalistes et populaires ayant du mal à s’organiser au niveau européen.
Exemple : il y a plutôt une sympathie pour la Russie et une défiance vis-à-vis de l’impérialisme américain pour les partis populaires de l’Ouest, alors qu’à l’Est, ce qui domine c’est la peur de la Russie. Jusqu’ici cela n’a pas été évident.
La situation est en train de changer. Le sentiment que l’UE ne peut pas continuer à détruire les nations. Que l’Europe n’est rien si elle ne définit pas ses frontières extérieures. Tout cela devient plus important que les clivages nationaux. Plus la révolte à l’égard du caractère non démocratique de l’Union européenne va monter, plus il sera possible de surmonter les différences nationales pour réaliser une alliance pour changer l’Europe.
Breizh-info.com : On a connu le Hervé Juvin fédéraliste européen, proche des régions également. Vous êtes sur une liste plutôt axée sur la nation, pour le coup. N’est-ce pas en contradiction avec ce que vous avez défendu dans tous vos ouvrages jusqu’ici ? Pourriez-vous nous éclaircir à ce sujet ?
Hervé Juvin : Le temps passe. J’ai travaillé pendant 4 ans avec une fondation présidée par Raymond Barre au début des années 90. À ce moment-là j’ai cru que quelque chose comme une identité européenne, une souveraineté européenne, et peut-être un grand ensemble européen unifié pouvait voir le jour. Je ne le crois plus aujourd’hui.
Je crois que l’Europe a gravement dérivé à partir de la fin des années 80. L’UE a mis en danger l’Europe en renonçant au marché intérieur. Nous sommes le continent le plus ouvert aux vents de la mondialisation. L’UE a interdit à l’Europe de définir son identité, sur ses bases historiques et géographiques. Elle a sacrifié à une vision naïve de la globalisation, qui est le libre-échange et l’individu roi.
C’est pourquoi aujourd’hui, je le dis à mes amis bretons comme je l’avais déjà dit à Carhaix lors d’une réunion de Produit en Bretagne : face à Google et à Facebook, face aux géants chinois par exemple des systèmes de paiements, face à la volonté chinoise d’acheter des terres ou des entreprises expertes en France, le niveau national protège mieux que l’indépendance régionale.
Je suis de plus en plus convaincu que c’est au niveau de l’État-nation que l’on peut se protéger des grands problèmes écologiques. Mais c’est aussi l’État-nation, s’il est appuyé par une coopération européenne renforcée, qui peut faire face à des défis stratégiques qui nous attendent, en Europe, dans nos pays.
Breizh-info.com : Mais en quoi l’Europe ne serait pas capable, en réformant de A à Z l’Union européenne, d’être encore plus puissante que l’État-nation ?
Hervé Juvin : Aujourd’hui, l’Union européenne est l’idiot du village mondial. On laisse tout faire, fixé sur des idées des années 90. On refuse de voir que le monde a totalement changé. Nous sommes en apesanteur. L’atterrissage risque d’être douloureux. Ce sont les États-nations qui vont atterrir. L’apport de Donald Trump, c’est probablement de penser que les USA vont se suicider s’ils continuent à vouloir être le gendarme mondial et les chantres de l’universalisme, et qu’ils ne vivront que s’ils redeviennent un État-nation parmi d’autres.
L’État-nation est la forme politique de la modernité. Seul lui est capable de sortir du vide stratégique dans lequel nous sommes pour affronter des menaces qui sont en train de s’appesantir gravement.
Breizh-info.com : Nous évoquons beaucoup le Brexit sur Breizh-info, et notamment le risque d’une guerre, en Europe, au cœur de l’Irlande, si rétablissement de frontière il y a. Un paramètre à prendre en compte, non ?
Hervé Juvin : Je partage votre opinion. De manière plus générale sur le Brexit, je pense qu’il y a un immense gâchis. On a voulu punir la Grande-Bretagne. Après tout, un traité se signe et peut se défaire. On a voulu en faire un exemple, comme quoi il ne serait pas possible de sortir de l’Union européenne. C’est une négation de la démocratie. C’est grave sur l’état d’esprit de l’UE, car un club dont on ne peut pas sortir s’appelle une mafia.
L’exemple donné au cours de ces négociations, et par les Britanniques, qui ont fait preuve d’une légèreté incroyable, mais aussi par les négociateurs européens, mention spéciale à Donald Tusk (« Il faut réserver une place en enfer pour ceux qui ont fait voter le Brexit »), ce n’est pas tolérable dans une démocratie.
Sur ce qui va se passer, je ne sais pas si le Brexit aura lieu. Si des procédés et des procédures niaient la volonté du peuple britannique de sortir, ce serait très grave. Cela reviendrait à la même chose que pour le traité de 2005. Cela prouverait que l’UE tourne le dos à la démocratie. Je crois qu’il y aura Brexit et que la Grande-Bretagne se positionne déjà pour attirer capitaux, flux financiers, et que nous sommes dans une naïveté au sein de l’UE, assez considérable, quand nous évoquons aujourd’hui ce qui pourrait se passer après le Brexit.
Breizh-info.com : Une autre question, fondamentale. Beaucoup ont dit que les élections européennes seraient un référendum pour ou contre l’immigration. Souscrivez-vous à cette analyse ?
Hervé Juvin : En partie oui. Il est clair que les échéances se rapprochent. Dans nombre de pays européens, on a le sentiment — qui a beaucoup compté dans la victoire de Donald Trump — que si on laisse faire, nous serons minoritaires sur nos terres, dans nos propres pays. Je crois que dans ce scrutin européen, comme pour les autres scrutins, la question de savoir si nous restons maîtres chez nous, si nous restons dans notre identité historique, dans notre longue histoire, dans nos préférences collectives, pèsera de plus en plus lourd.
Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’Union européenne, mais aussi la France, pourraient faire face à des démographies africaine, asiatique, qui explosent ?
Hervé Juvin : Vous avez raison de souligner la bombe démographique africaine. Vous pourriez également souligner que l’islam est une religion aujourd’hui conquérante, qui attire. Tout simplement parce qu’elle est tout ce que devrait être une religion, et que n’est plus le catholicisme. J’observe que même en Bretagne des gens se convertissent, même à la marge, à l’islam.
On nous a vendu un monde multipolaire du fait du vide stratégique européen et de l’accumulation de bêtises commises à l’encontre de la Russie. Pourtant, on a un monde en train de devenir bipolaire, c’est-à-dire avec les Américains, ou avec les Chinois. Avec une présence chinoise de plus en plus lourde (cf. les usines de lait à Carhaix, les achats de terres, de vignobles…)
Le vide stratégique européen vient du fait qu’on ne veut pas définir de frontières extérieures. Qui en est, qui n’en est pas. C’est dire on ne passe pas si ceux qui sont à l’intérieur ne veulent pas qu’on passe. Là-dessus, l’UE a manqué à son devoir de protéger, en demandant de le faire aux États-nations tout en les désarmant. Il faut revoir la Cour de Justice européenne, les directives européennes en matière d’accueil et de répartition des migrants. Et cela sur des bases claires : il y a une identité et une civilisation européenne, de multiples cultures qui la composent, qui se sont en partie, historiquement, définies contre l’islam.
De la Hongrie à la Serbie, en passant par l’Espagne, c’est largement contre l’islam que s’est fabriquée l’identité européenne. Il faut accepter la longue histoire, l’identité singulière qui est la nôtre. Renoncer à toutes les stupidités sur l’universalisme et le règne de l’individu absolu, l’homme hors sol, sans racine, sans identité, sans langue, pourquoi pas sans sexe. Il faut revenir au réalisme géopolitique.
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