Si une poignée de politiques et d’intellectuels européens avaient anticipé la chute du mur de Berlin bien avant 1989, le dernier film de Lars Kraume, La Révolution silencieuse, nous montre que nous aurions tout aussi bien pu en prévoir la construction dès les années 50, après la défaite de l’Allemagne.
Inspiré de faits réels et adapté du livre Schweigende Klasszimmer(La Classe silencieuse) de Dietrich Garstka, ce long-métrage raconte en détail une anecdote survenue en République démocratique allemande en 1956, lorsque les lycéens d’une classe de terminale se virent renvoyer de leur établissement scolaire et refuser l’accès au bac pour avoir rendu hommage, par une minute de silence, aux victimes de la répression soviétique de Budapest. Tandis que le ministère de l’Éducation de RDA avait garanti la poursuite des études à ceux qui eussent dénoncé les meneurs de cette minute de silence, la quasi-totalité des élèves refusa de plier et profita des vacances de Noël pour passer à l’Ouest et tenter d’y obtenir son diplôme.
D’un ton didactique parfois excessif, usant de ficelles bien connues des films pour ados et de références trop explicites (notamment, sur la fin, au Cercle des poètes disparus), La Révolution silencieuserevient cependant avec intérêt sur le mal-être allemand au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsque, culpabilisée par douze années de nazisme et tiraillée par les modèles soviétique et américain, la population s’entre-déchira sous les yeux des observateurs européens.
Rien n’aura alors été épargné aux lycéens du film, ni le chantage au baccalauréat ni les tentatives d’intimidation individuelles visant, de la part du ministère, à fouiller dans le passé des parents pour mieux pousser leur progéniture à dénoncer les meneurs. Un passé parfois trouble, comme celui du père d’Erik, pendu après-guerre par les communistes pour fait de collaboration avec le régime nazi. Dès lors, enclin à utiliser la honte d’un fils envers les crimes de son géniteur pour le contraindre à trahir ses camarades, l’autoritarisme du pouvoir socialiste en RDA n’était guère plus tendre, nous dit Lars Kraume, que les méthodes de manipulation du IIIe Reich. Un pied d’égalité qu’assume ouvertement le réalisateur.
Lars Kraume livre ainsi un film tendu, plus épuré, plus juste et bien plus honnête à la fois que son précédent long-métrage Fritz Bauer, qui relevait tout bonnement de la récupération politique pro-LGBT.
La Révolution silencieuse bénéficie, en outre, de jeunes acteurs talentueux, en particulier de Tom Gramenz et de Leonard Scheicher (aux airs de Jean-Pierre Léaud), dont les personnages respectifs – n’en déplaise au régime socialiste dépeint dans le film – défendent avec brio l’esprit de groupe et de solidarité fraternelle.
Pierre Marcillesi – Boulevard Voltaire