Interrogé par Nice-Matin/Var-Matin le 5 mai sur ses relations avec Christian Estrosi et la possibilité de « travailler avec lui demain », le candidat d’En Marche répondait : « Je ne l’exclus absolument pas ». Et de préciser : « Je l’ai soutenu quand j’étais ministre dans le cadre du front républicain lors des régionales en Paca. Christophe Castaner, qui fait partie de mes soutiens depuis les premiers jours, a eu l’esprit de responsabilité de se désister lors de cette élection pour aider Christian Estrosi à gagner face au Front national. »
Estrosi comme Macron : « de droite et (surtout) de gauche »
Coïncidence (ou pas) : le même 5 mai était détaillé à Nice le programme du 14 juillet 2017. Pas de feu d’artifice, celui de 2016 ayant été ensanglanté par l’attentat (86 morts, un demi-millier de blessés) perpétré par le faux « loup solitaire » et véritable djihadiste tunisien Mohamed Lahouaiej Bouhlel, mais dépose de « plaques de couleur sur la Promenade des Anglais pour former un message géant visible du ciel », « cérémonie interreligieuse dans les jardins de la Villa Masséna à l’invitation d’Alpes Maritimes Fraternité », association qui fleure bon les Loges, lancement de « 86 lampions dans le ciel » et enfin, clou de la journée : « S’il est entre-temps élu président de la République, Emmanuel Macron sera présent sur la place Masséna pour une allocution officielle. »
Le vœu de l’Establishment niçois (qui n’avait pas mêmement sollicité Marine Le Pen) ayant été exaucé deux jours plus tard, le nouvel Elyséen devrait donc, en ce jour de fête nationale, se matérialiser dans la capitale azuréenne où l’accueillera avec émotion l’ex-nouveau maire Estrosi. Lequel, au lendemain de la présidentielle, a mis en émoi le landerneau provençal en abandonnant la présidence de la région Paca au profit de l’incapable Muselier dont le seul titre de gloire est d’être le petit-fils d’un amiral de la France libre (d’ailleurs devenu ensuite antigaulliste, mais ceci est une autre histoire) et en éjectant l’actuel – et très transparent – maire de Nice, Philippe Pradal, du fauteuil sur lequel lui-même l’avait installé sous prétexte, a affirmé Estrosi la main sur le cœur, que « ma seule ambition c’est de servir ma ville ». Et il la servirait encore mieux en reconquérant son écharpe de député qu’il avait dû refiler à sa suppléante, Marine Brenier, (choisie en raison de son prénom et de sa blondeur) après avoir pris la présidence de la région. Encore une coïncidence : depuis deux mois, Estrosi a réactivé ses permanences, où son portrait s’étale en majesté. Et s’il avait des doutes sur ses chances de réélection, ceux-ci ont disparu après les résultats de la présidentielle à Nice, « terre de droite » dont le site institutionnel francetvinfo a aussitôt célébré le rattachement à la Macronésie.
Mais s’agit-il toujours d’une terre de droite ?
Dans les Alpes-Maritimes, le 23 avril, la présidente du Front national avait battu tous ses concurrents avec 27,75 % des suffrages. Globalement, les candidats « de droite » (Le Pen donc, Fillon, Dupont-Aignan, Asselineau) avaient totalisé 60,45 % des voix, Emmanuel Macron devant se contenter de 19,04. Séisme le 7 mai : le protégé de Hollande et de Merkel, de Bayrou et d’Attali, de la CFDT et du MEDEF ratisse 55,38 % des voix et Le Pen doit se contenter de 44,62. Alleluia ! Le « plafond de verre » a tenu, grâce bien sûr au Duduce local qui, pendant deux semaines, avait battu le tambourin en faveur de l’ancien banquier.
Les retraités d’aujourd’hui ? Les « Enragés » d’hier !
Nul ne niera le mérite – ou l’écrasante responsabilité – dans ce retournement de Christian Estrosi qui, dès le 7 mai au soir, se félicitait de son action « pour faire barrage à l’extrême droite » et remerciait donc « les électeurs de [s]a famille politique, qui ont très majoritairement contribué à cette victoire en faisant le choix qui s’imposait », « un choix qui les honore et dont ils peuvent être fiers ». Toutefois, les choses ne sont pas si simples. Et la situation sur la Grande Bleue vaut qu’on s’y attarde car elle est symptomatique d’une nouvelle sociologie progressant à grande vitesse sur notre territoire et risquant de réserver bien des déconvenues – aux législatives notamment.
Que le vote immigré, ultra-majoritairement hostile au FN, ait pesé dans cette présidentielle est une évidence. Comment ceux qui sont « chez eux chez nous » auraient-ils pu d’ailleurs rester insensibles au soutien apporté par Zidane et Benzema à celui qui, à Alger, avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », donc imprescriptible ?
Mais une autre immigration a joué : celle des bourgeois nantis venus passer le reste de leur âge sous le soleil azuréen. Pas question pour eux de quitter le cocon européen et de renoncer à l’euro. Qu’adviendrait-il de leur assurance-vie, de leur retraite, de leur portefeuille d’actions ? Pourquoi compliquer par un retour au franc leurs escapades en Italie ? Comment ne pas voter pour un candidat, champion de toutes les transgressions et qui promet au surplus une baisse de l’impôt sur la fortune ? Il ne faut jamais l’oublier : les contestataires de mai 68 sont les seniors d’aujourd’hui. Ils ont abandonné les pavés pour la plage, mais ont conservé leurs tropismes libertaires, leur conception binaire de la société – progressistes contre réacs, cosmopolitisme contre enracinement, « ouverture à l’autre » contre attachement aux traditions. Gauchisme et jeunisme sont les mamelles de leur engagement. Nul besoin de front républicain organisé comme en 2002 pour les faire « bien voter ». La seule présence en lice du Front national, incarnation révulsante de tous les obscurantismes – en matière sociétale, culturelle, raciale ou idéologique – fait sur eux l’effet du chiffon rouge sur le taureau, en un réflexe pavlovien, et l’éventuel avatar du parti honni en rassemblement des Patriotes n’y changera rien.
Gentryfication mais tiers-mondisation
Alors que Marine Le Pen n’a obtenu dimanche dernier que 39,86 % à Nice, dans l’arrière-pays en revanche, comme à Falicon, elle a souvent frôlé les 70 %. Mais, dans le vote du département, le poids de la cinquième ville de France a été décisif. Une ville que doivent fuir les Nissards, chassés vers des localités plus lointaines et moins huppées par la cherté des appartements et des loyers. Cependant que, dans un mouvement inverse à la gentryfication du Vieux Nice, où la rue Bonaparte se targue d’être devenue « un petit Marais » compte tenu du nombre de gays friqués au mètre carré, et du bord de mer devenus inaccessibles au citoyen lambda, et grâces en soient rendues à la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone, ex-épouse de Christian et présidente de Nice-Habitat, des allogènes toujours plus nombreux, dont nombre de récents naturalisés et donc d’électeurs – sans parler des Mohamed Lahouaiej Bouhlel potentiels – sont logés à prix d’ami.
Marine Le Pen ne veut voir qu’un « phantasme » dans le Grand Remplacement. C’est, pourtant ce phénomène qui, allié au Grand Débarquement bobo sur lequel surfe également Estrosi, explique le grand renversement dont elle a été victime. A Nice, mais aussi dans toutes les villes de la Côte où beaucoup d’Azuréens d’adoption ont voté comme ils auraient voté à Rennes et à Lyon, où Macron a raflé 84 % des suffrages, et bien sûr à Paris qui a offert le score stalinien de 89,05 % au candidat « No Frontiers » adoubé par Barack Obama, l’Union des organisations islamiques de France – et, the last but not the least, Daniel Cohn-Bendit.