Qui, aujourd’hui, se souvient de Justinien (483-565) ? Peu de monde, sans doute, hormis quelques attentifs étudiants en droit et des touristes ayant contemplé Ravenne. Il convenait de rendre justice à cet empereur trop méconnu en Occident. Pierre Maraval, universitaire, s’est attelé à cette tâche.
Nominalement, Justinien est empereur romain. Pour être exact, il est byzantin : sa capitale est Constantinople. Il est aussi chrétien et règne deux siècles après Constantin, qui fut le premier empereur à confesser le Christ.
Pierre Maraval révèle la trajectoire hors-norme de cet Illyrien (Balkans) de souche modeste, né en 483. Son oncle, Justin, s’illustre par les armes et devient empereur byzantin en 518. Justinien accède ainsi à l’éducation romaine et chrétienne la plus complète. En 527, Justin meurt après avoir désigné Justinien comme successeur.
Dès lors, Justinien n’a de cesse d’affirmer sa légitimité à travers une véritable « idéologie impériale ». Il s’appuie sur une théologie politique faisant de l’empereur « un ami du Christ (philochristos) », gouvernant à l’imitation de Dieu. Justinien aime à se présenter comme le prince chrétien par excellence. Sur les pièces de monnaie comme dans le cérémonial quotidien, tout doit rappeler la sacralité du pouvoir impérial.
Mais, loin d’être une statue du Commandeur, Justinien est un législateur et un codificateur. Pour lui, faire respecter l’ordre public revient à faire respecter l’ordre voulu par Dieu. Or, en ce IVe siècle ap. J.-C. le droit romain, si vénérable, est devenu un magma difficile à interpréter. Il convient de coordonner et d’actualiser le droit, afin de donner à Rome (Byzance) un lustre nouveau, celui d’un Etat unifié par la foi chrétienne. Ainsi naît le Corpus iuris civilis, composé du Code de Justinien (recueil de lois impériales), du Digeste (consultations de juristes classiques), des Institutes (manuel d’enseignement) et des Novelles (nouvelles lois de la fin du règne de Justinien). L’œuvre est si monumentale que sa redécouverte à Bologne, au XIIe siècle, marquera un tournant dans l’histoire juridique européenne.
Justinien, enfin, est un empereur guerrier. Son ambition est immense : accomplir la restauration de l’Empire (renovatio imperii). Il combat les Vandales (présents en Afrique du nord, en Corse, en Sardaigne) et les Ostrogoths (maîtres de la péninsule italienne). L’Italie, justement, est l’un des théâtres d’opération de Justinien et de son général Bélisaire. En 540, Ravenne (Italie du nord) est conquise par les Byzantins. Mais le rêve de l’empereur de réunir l’ancien Empire d’Occident à celui d’Orient n’aboutira pas entièrement. Justinien s’éteint en 565, à l’âge de 82 ans. Prince volontaire et bâtisseur, il lègue à la postérité des monuments de l’esprit et du droit, mais aussi de la matière : les mosaïques de Ravenne, les coupoles de Sainte-Sophie.
Tugdual Fréhel – Présent
Pierre Maraval, Justinien. Le rêve d’un empire chrétien universel, Tallandier, 432 pages.