Paradjanov, cheval de feu (Vidéo)

Il est des images, des sons, des ambiances et des musiques qui marquent pour la vie. Allez savoir pourquoi, une alchimie singulière qui ouvre l’âme, imprime sur les circuits intégrés de l’esprit des énigmes et des aboutissements qui offrent une ouverture à la quête permanente du sens de la vie. 1965 n’était pas une année de gloire, nous venions de liquider notre empire colonial, laissant ses peuples se débrouiller avec un empire soviétique conquérant, bien que toujours aussi funeste.

En ces temps-là, le cinéaste arménien Sergueï Paradjanov, né Sarkis Paradjanian, travaillait sous le contrôle des fonctionnaires de la « République socialiste soviétique d’Arménie », tenus en laisse par le soi-disant grand frère bolchevique. Néanmoins, le génie de Paradjanov fut le plus fort et, sous cette chape de glace, il put faire naître sa floraison, car il faut reconnaître que les rêves glacés du communisme commençaient à fondre sérieusement. C’est ainsi que naquit Les Chevaux de Feu, un ouvrage inspiré, à la fois glacial et printanier, d’une énergie folle, tourbillonnant dans les éclairs et les ombres du soleil des Carpates, au son permanent des trompes et des guimbardes, obsédantes.

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Sous une apparence abstraite qui peut sembler rébarbative aux amateurs de films d’action, ses films sont au contraire des coups de poing issus des profondeurs de cultures enracinées, indestructibles, persécutées et muselées, mais plus puissantes que tout. Ce sera encore plus vrai, en 1969, avec La Couleur de la grenade (la grenade est un fruit mythique en Arménie), baigné d’ambiances inspirées par la vie du poète et musicien troubadour Sayat Nova (1712-1795), qui se repliera après une vie tourmentée au monastère arménien d’Haghpat avant d’être assassiné à Tiflis, en Géorgie. Aussi statique que Les Chevaux de Feu était dynamique. Chef-d’œuvre absolu mais très difficile à aborder, car tout y est symboles, habillements, objets et musiques, sans la moindre parole perturbatrice. Passionnant ou insupportable, selon sa propre sensibilité. Aucune image n’y est innocente, aucune n’est banale, des tableaux saints, des tableaux diaboliques, mélanges de superstitions, de paganisme et de christianisme. Monocorde et éblouissant, envahissant. Des sons et des pierres, des portes sculptées et des laines, des couleurs et des êtres vivants aux visages figés de masques blafards. Rien n’y est fantastique, tout y est mythologique et naturaliste à la fois.

L’œuvre du grand cinéaste arméno-soviétique ne se résume pas à ces deux chefs-d’œuvre, mais ils sont une rupture indélébile au regard du conformisme révolutionnaire obligé de l’époque. Accusé de nationalisme, Paradjanov paiera sa liberté d’artiste de quatre années de goulag et de nombreux emprisonnements. Aujourd’hui, il fait partie de la cohorte des héros arméniens, sa maison musée d’Erevan est aussi un lieu de recueillement où l’on peut admirer ses peintures, des collages pour la plupart. Son œuvre, heureusement maintenant libérée de ses fers, peut être revécue avec l’œil de la pensée libre qui s’exprimait alors par symboles cachés, par un lyrisme se dégageant du dogmatisme grâce à un flux irrésistible, vital car la vie est plus forte que les faits, dont Lénine aurait dit qu’ils avaient la vie dure. Il ne faut jamais désespérer des situations les plus désespérantes, c’est en cela que les peuples ont besoin de poètes, de peintres et de musiciens, d’artistes inspirés lorsqu’ils sont l’émanation de leur terre.

Bernard Chupin – Présent

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