A l’été 2014, alors que les pays de la région, l’ONU et l’OTAN assistent impuissants à l’avancée des jihadistes, le monde découvre les combattant·es kurdes qui ont fait reculer Daesh à Kobané, cette petite ville devenue symbole. Le sacrifice de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes était bien sûr motivé par la nécessaire résistance à la barbarie de l’Etat islamique, qui s’est déchaînée contre les Kurdes yézidis de la région de Sinjar. Mais cette détermination s’appuyait sur autre chose : la conviction qu’une société libre démocratique et égalitaire pour toutes et tous est possible, au Rojava mais aussi en Turquie.
Autrefois imprégné par le marxisme-léninisme, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a dressé un bilan sévère des régimes bureaucratiques et autoritaires d’Europe de l’Est. Il a également pris ses distances par rapport au nationalisme et a questionné la pertinence de revendiquer un Etat-nation kurde. Emprisonné depuis 2000 et influencé par le libertaire écologiste américain Murray Bookchin, le fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, a appelé à l’élaboration d’un nouveau paradigme qui confère à la démocratie directe un rôle pivot de la transformation sociale.
En pleine guerre nourrie par des conflits intercommunautaires et des conflits d’intérêts géopolitiques, l’égalité entre les sexes, l’inclusion des minorités et la démocratie de conseils (quartier/village/canton) donnent corps à une révolution. Dans une région dominée par les tribus et les clans, s’est développée au Rojava une pratique d’inclusion et de représentation sur un pied d’égalité de toutes les minorités ethniques ou religieuses.
Dans un contexte régional où les femmes sont au mieux privées de toute autonomie, le Rojava a inscrit l’égalité totale entre les genres dans sa charte, tandis qu’en Turquie, le Parti démocratique des peuples (HDP) instaurait le principe d’une double représentation femme-homme dans toutes les fonctions de responsabilité et envoyait au parlement des élu·es gays-lesbiennes, des Arméniens et des Assyriens. On dit de la poudrière du Moyen-Orient qu’une nouvelle guerre mondiale peut s’y déclencher. Mais on y voit naître aussi des idées et des pratiques qui montrent qu’un autre monde est possible.