Les œuvres du photographe malvoyant sont actuellement exposées au Centre de photographie des Frères Lumières à Moscou.
On trouve souvent des oxymores dans les noms de livres et de films — Les Âmes mortes, Un Miracle ordinaire, Retour vers le futur —, les poètes en sont très friands et on en rencontre également souvent dans la vie, même si plus rarement que dans le domaine de l’art. C’est le cas actuellement au Centre de photographie des Frères Lumières de Moscou avec l’exposition des travaux d’un photographe malvoyant.
Dans le monde contemporain débordant de gadgets et de miracles, on semblerait presque avoir perdu l’habitude de s’étonner. Certains ne s’arrêtent même plus devant les magiciens de rue et passeraient même à côté d’une femme à barbe sans se retourner. Mais difficile de rester indifférent au travail d’un photographe malvoyant.
Mais comment fait-il? Appuie-t-il au hasard sur le déclencheur de son appareil photo avant que des personnes voyantes sélectionnent quelque chose de « potable » dans la multitude d’images qu’il a captées? Pour en savoir plus, l’auteur de ces lignes s’est rendu à l’exposition « Derrière l’horizon ». Non sans un certain scepticisme. Et évidemment, la vérité était bien plus complexe et intéressante que les apparences.
Un artiste dans le brouillard
Alexandre Jouravlev n’est pas complètement aveugle même s’il ne lui reste que 2% de vue. Chaque visiteur peut se mettre à sa place en revêtant un casque virtuel Gear VR à disposition dans la salle. « En l’enfilant vous comprendrez ce que voit Alexandre Jouravlev », déclare un jeune homme devant le stand. Je l’installe sur ma tête et suis plongé immédiatement dans un brouillard gris et dense. Une tache claire apparaît à un endroit. Seule différence: pour les voyants, tout brouillard peut être dissipé. Or Alexandre y vit constamment depuis l’âge de 11 ans. Aujourd’hui, il a la quarantaine bien tassée.
Alexandre Jouravlev a notamment pris des photos pendant son voyage dans les montagnes de l’Oural — dans les régions de Sverdlovsk et de Tcheliabinsk. Le réalisateur d’Ekaterinbourg Ivan Sosnine a réalisé un magnifique court métrage sur ce voyage d’Alexandre Jouravlev et son chien Oumka, qui l’accompagne toujours dans ses expéditions. Malheureusement ce dernier n’a pas pu se rendre à l’exposition de Moscou.
Acuité des sens
« Comme tout malvoyant, mes autres sens sont accrus, reconnaît Alexandre Jouravlev. Ce sont eux qui me permettent de choisir la composition de mes photos ». L’un des principaux est le toucher. Guidé littéralement par le ressenti du bout de ses doigts Alexandre a pris sur le lac Sougomak, dans la région de Tcheliabinsk, l’un de ses plus belles photos: il était inspiré par la caresse des épis poussés par le vent sur ses mains.
L’odorat a également de l’importance. Alexandre Jouravlev se souvient, toujours dans la région de Tcheliabinsk, être sorti d’une mine abandonnée quand l’air frais l’a littéralement frappé au visage. Le photographe a pris en photo cette fraîcheur. Hormis l’odorat, il s’est également laissé guider par son ouïe et notamment le bruit des feuilles.
Pour ses photos à l’intérieur de la mine abandonnée, le photographe malvoyant se repérait au son de l’écoulement de la glace fondante, à la chaleur — la température monte au fur et à mesure qu’on descend —, aux ressentis du sol sous les pieds et aux sensations que ne connaît pas une personne qui voit correctement. Alexandre Jouravlev sait qu’un homme n’a pas cinq ou six sens, mais bien plus. Il m’a dit ne pas voyager uniquement dans les montagnes de l’Oural, mais s’être également rendu en Pologne et en Inde. Il ignore où il partira la prochaine fois — cela dépend peut-être de qui l’invitera.
Une question de matériel
Bien sûr, prendre ces photos uniques est en grande partie une question de matériel. En effet, l’appareil d’Alexandre Jouravlev est de grande qualité, sensible et intelligent. Le smartphone utilisé pour prendre ces photos faisait une mise au point automatique et choisissait lui-même le mode. Les œuvres d’Alexandre Jouravlev seront exposées jusqu’au 9 avril avec le soutien de Samsung, de l’association Canne blanche et du service Shazam.
Cette exposition est à voir pas seulement pour les photos mais surtout pour comprendre qu’en réalité, il n’existe pas de situation sans issue. Que même un individu malvoyant peut réaliser l’impossible. Que même si vous avez connu un malheur irréparable, ce n’est pas une raison de baisser les bras.
Alexandre Jouravlev a également parlé des opportunités offertes à tous les hommes, lui y compris, et appelé tout le monde à profiter davantage de ces opportunités — aujourd’hui, demain. Maintenant.
Sourcehttps://fr.sputniknews.com/culture/201703271030643687-photographe-russe-aveugle-alexandre-jouravlev/