Violences policières/ Les ophtalmologues tirent la sonnette d’alarme

N’ayant pas obtenu de réponse au courrier qu’ils ont adressé au chef de l’État, le 6 février dernier, 35 médecins ophtalmologistes ont décidé de rendre public le texte de cette lettre, dans laquelle ils demandent un moratoire sur l’utilisation des lanceurs de balle de défense (LBD) par les forces de l’ordre. Ces médecins ont été choqués par le nombre anormal de contusions oculaires graves qu’ils ont constatées, ces derniers temps, à la suite de la répression des manifestations des Gilets jaunes.

Les principales blessures étant oculaires, il est logique que ce soit les ophtalmologues qui tirent la sonnette d’alarme. Jusqu’à présent, disent-ils, les blessures oculaires graves étaient principalement provoquées par des balles de golf, qui ont en commun, avec les balles en caoutchouc, leur diamètre : 40 mm, qui correspond à celui de l’orbite. Mais l’énergie cinétique d’une balle tirée à 40 mètres de distance est bien supérieure à celle d’une balle de golf, et les dégâts en sont d’autant plus conséquents. Ils mettent également l’accent sur le fait que ces blessures oculaires ne sont, sans doute, pas le fait du hasard ou de l’inexpérience des tireurs, et ils concluent leur lettre en demandant instamment « un moratoire dans l’utilisation de ces armes invalidantes au cours des actions de maintien de l’ordre » en précisant que « leur démarche est uniquement celle de médecins purement humanistes avec pour seul but d’éviter d’autres mutilations ».

Laurent Nuñez, le secrétaire d’État à l’Intérieur, a indiqué que, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, on compte environ 2.200 blessés parmi les manifestants et que l’IGPN et l’IGGN avaient ouvert 83 enquêtes sur des faits impliquant des tirs de LBD.

Il n’y a, d’ailleurs, pas que les ophtalmologues que la violence de la répression policière a émus. La semaine dernière, le maire de Phalsbourg, en Moselle, a pris un arrêté symbolique pour interdire le recours à ces LBD lors de la manifestation des gilets jaunes, et le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a réclamé une enquête sur « l’usage exclusif de la force »» dans le maintien de l’ordre en France.

Ces quelques réactions, parmi bien d’autres, sont significatives d’une prise de conscience, par des populations normalement peu concernées par ces phénomènes sociaux, de la violence avec laquelle le gouvernement réprime des mouvements de contestation populaire tel que celui des gilets jaunes.

On peut, à ce sujet, se poser la question de savoir s’il ne faut pas y voir la volonté de faire des exemples afin de décourager les gens du peuple de manifester sans faire appel aux filières habituelles des corps intermédiaires qu’on peut facilement contrôler sans avoir besoin de les réprimer aussi sévèrement.

Et comment ne pas établir de parallèle avec les manifestations des voyous de banlieue qu’on se contente de surveiller de loin, sans faire intervenir les moyens utilisés contre les gilets jaunes (blindés, canons à eau, etc.) qui seraient sans doute pourtant nécessaires si l’on veut, un jour, enfin rétablir l’ordre dans ces territoires où, nous dit-on, pourtant la loi ne s’applique plus.

Mais il est, bien sûr, plus facile de se forger une image de fermeté en exhibant ses biceps face à des manifestants plutôt qu’en s’attaquant aux voyous qui défient quotidiennement l’autorité publique.

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