Dans une longue enquête fouillée intitulée Où sont nos espions ? co-écrite avec son confrère Christophe Dubois, le journaliste Éric Pelletier passe en revue les failles des services de renseignement français dans leur traque contre le terrorisme islamiste ces deux dernières années.
LE FIGARO. – S’il y a eu autant d’attentats sur le sol français ces deux dernières années, est-ce la faute de nos services de renseignement?
Éric PELLETIER*. – Les attentats de 2015 et 2016 portent la marque d’al-Qaida et de Daech. Ne nous trompons pas d’ennemi! La menace terroriste n’a jamais été aussi importante, la France étant devenue l’ennemi numéro un des djihadistes. Nos agents sont en première ligne pour les contrer. Cela dit, il faut absolument se poser la question des failles pour éviter de nouveaux drames. «À la guerre, il est interdit de se tromper deux fois», dit un proverbe latin. Les services de renseignement français souffrent de plusieurs manquements. D’abord cette réalité mathématique, purement quantitative: il y a 700 djihadistes français sur les théâtres d’opérations extérieurs auxquels il faut ajouter 10.500 islamistes radicaux susceptibles de passer à l’acte sur notre sol. Or la DGSI n’est en mesure de surveiller physiquement 24h sur 24h que 40 objectifs. Depuis les récentes attaques des efforts budgétaires ont été consentis et ce vide est en train d’être comblé par des embauches à la DGSE et DGSI.
N’est-ce pas un problème technique plutôt qu’humain?
Notre renseignement est très dépendant de la technologie américaine. Pour aller arrêter un adolescent en contact avec les djihadistes sur la chaîne Telegram, il faut passer par Washington, quand bien même il habite dans le XXe arrondissement de Paris. Cette situation peut devenir un problème lorsque l’allié devient espion, comme la révélation de la mise sur écoute de l’Élysée par la NSA l’a montré. Cette dépendance technologique nous lie les mains diplomatiquement, c’est pourquoi on a entendu aussi peu de protestations au moment de l’affaire Snowden.
La bataille entre services de renseignement n’est-elle pas aussi un problème?
Il y a un effet un problème structurel, celui du manque de communication, voire du cloisonnement entre les différents services. On raisonne encore comme à l’époque de la guerre froide, où la priorité était la protection des informations. Nombre d’informations classées secret défense mettent du temps à être transmises. Or, aujourd’hui, l’important, ce n’est plus tellement le secret, mais la rapidité et la fluidité de l’information. Un commissaire nous a dit: «Une information qui ne circule pas n’est pas une information. Elle reste une idée.»(…)
La rupture des relations diplomatiques avec Damas a-t-elle nui au renseignement français?
L’arrêt des relations diplomatiques entre la France et la Syrie en 2012 a abouti à la cessation de toute relation entre les services secrets. Or les services syriens avaient été d’une grande utilité depuis 2003 pour détecter les djihadistes français partis en Irak et qui, ensuite, revenaient sur le sol français. Les Syriens avaient aidé notamment au démantèlement de la filière des Buttes-Chaumont. La première question est d’abord morale: faut-il collaborer avec les services de renseignement d’un pays dictatorial? La seconde question est plus opérationnelle: est-ce utile? Les tenants du ‘niet’ à Bachar arguent qu’aujourd’hui le régime n’a plus aucun contrôle des territoires sous tutelle islamiste, et n’aurait donc que peu d’utilité dans la lutte contre le terrorisme. Depuis 2012, deux lignes s’affrontent: la DGSE est résolument hostile à toute reprise des contacts avec Damas, tandis que la DGSI considère que l’ennemi principal n’est pas Assad mais Daech.
*Éric Pelletier est journaliste au Parisien, et auteur avec Christophe Dubois de Où sont passés nos espions?- Petits et grands secrets du renseignement français (Albin Michel, 2016).