Comme l’écrivait plaisamment la marquise de Sévigné, « Nous descendons tous de la charrue », et cela explique que nous nous intéressions au sort de nos ancêtres paysans plus ou moins lointains et à leurs actuels représentants. L’Homme à la bêche, d’Henri Pourrat, en contait l’épopée jusque dans les années 40. L’ouvrage tout récent d’Eric Alary, quant à lui, couvre la période de la Belle Epoque à nos jours, c’est-à-dire qu’il part d’un temps de relative prospérité à celui d’une grave crise du monde paysan. En effet, le choc des deux guerres mondiales, avec surtout le désastre humain que représenta la guerre de 14 (« Après 1918, écrit l’auteur, le monde paysan ne sera plus jamais comme avant »), l’exode rural et, pour finir, la mondialisation, ont durement éprouvé les agriculteurs.
Eric Alary retrace leur histoire, d’une manière vivante et incarnée, se fondant sur de nombreux témoignages, sans oublier l’apport de la littérature (Pergaud, Genevoix, Pérochon…). Il évoque la fondation de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) en 1929, la crise des années 30, l’accent mis sur le travail de la terre sous le régime de Vichy puis, sous « les Trente Glorieuses », la recherche de la rentabilité à tout prix, le funeste remembrement mais aussi les meilleures conditions de vie quotidienne. Il montre la perte des traditions et des coutumes, la disparition de nombreux métiers (forgerons, sabotiers, bourreliers), l’angoissante perspective du célibat pour les jeunes agriculteurs et le relâchement des « liens de sociabilité ».
Remarque intéressante : Alary note qu’en 2002 déjà, 22 % des paysans votent Front national et qu’en 2015, le FN arrive en tête dans des dizaines de cantons ruraux aux départementales.
Si les paysans, ces jardiniers de nos campagnes, disparaissent, les conséquences en seront funestes pour l’environnement. Or, de nos jours, « se définir paysan est une singularité et s’apparente presque à un acte militant », remarque Alary, qui s’efforce de conclure malgré tout d’une façon optimiste : « On ne peut se résoudre à abandonner une partie intégrante de notre culture ni à faire de nos campagnes des ruines ou des musées à ciel ouvert. L’ancrage terrien est fort, et il n’est pas écrit que les paysans ne renaissent un jour. »
Eric Alary, L’Histoire des paysans français, éditions Perrin, 384 pages, 23,90 euros.
Anne Le Pape – Présent