« On doit considérer globalement les PMA comme un progrès mais leurs dérives sont inévitables en dépit des discours éthiques que nous entendons depuis une douzaine d’années. Un tel constat ne peut que conduire à l’inquiétude quant aux nouvelles techniques qui se développent avec l’intrusion de la génétique dans la PMA. Car on ne voit pas quels garde-fous mettraient l’humanité moderne à l’abri de dérives de type eugénique », écrit Jacques Testart, célèbre biologiste de la procréation. Lui qui, en faisant naître en France le premier bébé-éprouvette, a fait faire un bon en avant à la PMA, tire désormais la sonnette d’alarme. Il l’avait fait notamment dans son livre Faire des enfants demain paru en 2014. Il y expliquait toutes les dérives de la médecine procréative et mettait très sérieusement en garde contre le recours à la PMA pour « calibrer » l’enfant à naître (avec le diagnostic préimplantatoire) ou dans le cas d’un couple dont la stérilité n’est pas pathologique (notamment les couples homosexuels ou les couples dont la femme n’est plus en âge de procréer mais a conservé ses gamètes).
« J’ai évoqué les dérives de la Procréation médicalement assistée parce qu’elles montrent comment désormais l’objectif à atteindre prime tout », explique-t-il encore, montrant comment la médecine est de plus en plus mue par un objectif d’efficacité technique qui laisse bien peu de place à la réflexion éthique. La voix dissonante de Jacques Testart au milieu du concert des scientifiques imperméables à toute remise en question éthique avait surpris. Beaucoup pensaient qu’il n’y avait guère que l’Église catholique pour oser remettre en cause le « progrès ». Sauf que Jacques Testart n’est pas le seul à oser émettre un doute sur la course à l’efficacité.
Deuxième voix dissonante, et pas des moindres, celle de Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé, professeur de médecine et généticien. Dans un entretien accordé à La Croix le 9 novembre dernier, il dénonce la tentation de l’enfant « à la carte » induite par des procédés techniques de plus en plus perfectionnés. « Avec ces techniques, il n’est pas seulement question d’avoir un enfant mais un enfant plus performant ou conforme à un cahier des charges… Or rien ne serait pire que d’encourager des enfants à la carte. Si l’on devait se placer dans une telle perspective, les techniques de procréation artificielles créeraient plus de problèmes que de solutions… Et ce, pour une raison simple : nous sommes libres parce que nous sommes le fruit du hasard. Dans le cas contraire, chacun serait enclin à demander des comptes. » Le transhumanisme ne fait manifestement pas rêver tout le monde. Le progrès technique, oui, mais à quel prix ?
Troisième voix dissonante, celle du philosophe Jean-Michel Besnier. Le contournement de la reproduction sexuée est non seulement problématique sur le plan éthique – parce qu’elle fait triompher l’outil sur l’homme – mais aussi sur le plan naturel puisqu’elle aboutit in fine à la suppression progressive de la diversité du genre humain. Car l’enfant fabriqué mène tout droit au clonage. « Il y a une grosse différence entre la science telle qu’elle se pratique aujourd’hui et la vocation du scientifique, disons, traditionnel. Ce dernier cherchait à décrire les mécanismes de la nature et à en expliquer les différents phénomènes par la mise en évidence d’une relation de cause à effet. Il s’agissait donc de traduire les observations de la nature en un système cohérent qui permette d’expliquer les choses en identifiant les causes. Mais le jour où la science s’est mise en tête de produire des effets avant tout, elle a peu à peu abandonné la recherche des causes pour tomber ainsi dans ce qu’on appelle la techno-science », expliquait le philosophe en septembre dernier dans un entretien accordé à la revue Sciences et Avenir.
On ne peut que se réjouir de ce que des hommes comme Testart, Mattei ou Besnier remettent en cause la tentation transhumaniste de la médecine et leur travail ouvre de nombreuses pistes de réflexion. Pour autant, et quoique leurs travaux soient passionnants, ils se livrent tous les trois à un dangereux numéro d’équilibriste en remettant en cause les dérives d’une humanité fabriquée dont ils chérissent pourtant certaines causes. Car le transhumanisme est déjà en germe dans le « mon corps m’appartient » des militantes pro-avortement et pro-contraception qui ont fait de la vie humaine quelque chose qui a moins de valeur que les désirs humains. Si l’existence même d’une personne tient à un projet parental, alors pourquoi la couleur des yeux de cette personne ne devrait-elle pas non plus être planifiée ? Et si c’est seul le projet parental qui fait de l’ovule fécondé un enfant, alors pourquoi faudrait-il être en âge de procréer ou être en couple avec une personne de sexe opposé pour y prétendre ?
Lu sur le blog de L’homme nouveau