Davutoglu, le premier ministre turc, n’est pas, loin s’en faut, le seul charliste de la onzième heure. En 2011, après l’incendie des locaux de l’hebdomadaire qui publiait son « Charia Hebdo », beaucoup de ceux qui arborent aujourd’hui un air affligé trouvaient que nos rigolos exagéraient, qu’ils jetaient de l’huile sur le feu et que, le droit à la satire, bien sûr, mais à condition de n’offenser personne et surtout pas les musulmans. Et un paquet de ces défenseurs acharnés de la liberté ont une fâcheuse tendance à insulter ceux qui ne pensent pas comme eux, ce qui, à la réflexion, est un brin contradictoire. Rappelons-leur que le refus du désaccord peut tuer.
On ne va pas gâcher l’ambiance pour si peu, puisque c’est l’union sacrée et qu’on est tous Charlie. Tout de même, ça me chiffonne, cette union dont on a expulsé un parti qui représente un cinquième à un quart des électeurs. Il paraît qu’on peut défiler avec ce monsieur Davutoglu, mais pas avec Marine Le Pen : questions de valeurs. On sait bien que des valeurs, elle n’en a pas. Le président a essayé de rattraper la bourde de Cambadélis en affirmant que tout le monde était invité, mais on ne voit pas pourquoi Le Pen se priverait du cadeau que lui font ses adversaires. Du reste, d’après Claude Askolovich, qui a oublié de nous dire ce que ses « amis salafs » pensaient des événements, il faut s’interroger sur la responsabilité du FN. Celle-là, elle est bien bonne.
C’est ça qui est chouette quand on est de gauche : on a le droit de dire qui fait partie du peuple et qui est au piquet. Au nom de la tolérance : toi oui, toi non. Idées rances. Bref, le coup de l’unité nationale, c’est le vieux truc de la gauche pour désigner les méchants et mobiliser son camp. Et les méchants, je vous le donne en mille, ce sont les islamophobes. Le terrorisme islamiste vient de tuer, mais les responsables sont ceux qui le dénonçaient. Logique. Puisque tout ceci n’a rien à voir avec une quelconque religion. En attendant, la preuve que le grand rassemblement républicain commence à avoir un air de manif de gauche, c’est qu’il se conclura par une grande fête organisée par Jean-Michel Ribes.
À part ça, on est tous Charlie, c’est écrit sur tous nos écrans et placardé dans toutes nos villes, on finira par le psalmodier dans les églises. Dans les médias, on est déjà entrés en religion.
Tous Charlie, donc, mais je demande si on parle tous du même Charlie. En tout cas, on ne va pas à la même manif. Va pour « marcher contre la terreur », comme nous y invite Le Monde, quoi qu’il eût été utile de préciser de quelle terreur il est question. Mais voilà que d’aussi éminents commentateurs que Plenel appellent à défiler contre le Front national (sic !). Clémentine Autain, elle, marchera « contre les attaques envers les musulmans. Contre toutes les formes de racisme et de xénophobie. Contre les fascismes » (serait-elle pour la maladie ?). Soyons clairs : toute attaque contre une mosquée ou une institution musulmane, et bien sûr, contre les personnes, doit être dénoncée et sévèrement sanctionnée. Mais alors que des journalistes, des policiers et des juifs (es qualités si on peut dire) viennent d’être tués au nom de l’islam, la violence contre l’islam est-elle la principale menace ?
Alors, je veux bien être Charlie avec tout le monde. Mais pas avec n’importe qui.