Charles Martel était maire du palais, duc d’Austrasie, et gouvernait l’État franc au nom de Thierry IV, roi mérovingien. C’était le fils de Pépin d’Héristal. Cette famille avait rendu à la Gaule et spécialement à l’Austrasie, depuis un siècle et demi, de grands services.
La lutte commença à Tours, se continua pendant toute une semaine par une série d’engagements et se termina enfin dans la grande plaine de Moussay-la-Bataille par une rencontre générale et décisive. Le premier choc eut lieu près de Tours, au lieu-dit Saint-Martin-le-Bel, suivant une tradition locale.
En apprenant l’arrivée du duc d’Austrasie et de son armée, Abdérame inquiet quitta Tours et s’avança à la rencontre des Francs. Les premiers combats furent favorables à l’armée chrétienne. Les Sarrasins reculèrent. Pendant sept jours, on se battit sans arriver à un choc général ; mais les guerriers francs s’habituaient peu à peu à la tactique arabe.
Le samedi 17 octobre, les deux armées, chrétienne et sarrasine, sortirent de leurs retranchements et se disposèrent pour la bataille. L’heure décisive avait sonné.
Les Sarrasins engagèrent l’action par une charge de toute leur cavalerie. Abdérame espérait sans doute enlever la victoire du premier coup ; c’est ainsi qu’il avait triomphé dans maintes batailles. Mais il fut trompé dans son attente. Charles avait prévu cette attaque furieuse et prévenu ses troupes. En un clin d’œil, ajoute le chroniqueur, les hommes du Nord groupèrent leurs masses compactes, immobiles comme un mur, ou plutôt comme un rempart de glace qui n’offrirait aucun interstice. Les Arabes essayèrent vainement de les rompre ; ils tombaient impitoyablement sous le fer des épées et des lances. Les guerriers d’Austrasie avaient sur l’ennemi l’avantage d’une taille plus élevée et d’une solide armure. Leur main de fer frappait en pleine poitrine .
Sachant que l’armée musulmane était gorgée de butin et que son camp était plein de richesses, Charles avait confié à Eudes d’Aquitaine le commandement de toute la cavalerie et l’avait chargé de tourner l’ennemi et d’attaquer le camp à une certaine heure de la journée.
La cavalerie arabe parvint à dégager le camp et à repousser l’attaque du duc d’Aquitaine ; mais le but de Charles fut atteint car, pendant ce temps, profitant du tumulte, l’armée d’Austrasie s’était jetée à son tour sur les troupes restées près d’Abdérame et les avait refoulées. Alors se produisit un fait qui décida du sort de la journée.
Abdérame, probablement inquiet de la tournure que prenaient les événements, rallia tout ce qui lui restait de cavaliers, se mit à leur tête et s’élança sur les troupes franques pour arrêter leur marche. Mais rien ne pouvait rompre ce « rempart de glace » dont les écrivains arabes parlent tous avec tant de douleur et d’admiration. Les Sarrasins se brisèrent sur les soldats chrétiens et leur chef, Abdérame, tomba, frappé mortellement par un coup de lance.
La mort de l’émir et l’absence de commandement jeta le plus grand trouble dans l’armée musulmane, et à partir de ce moment les guerriers francs firent un massacre effroyable des ennemis du Christ : dans cette mêlée confuse, dit avec raison M. Guizot, « la haute stature et les fortes armes des Francs avaient l’avantage ».
Mais Charles, toujours prudent, maintenait l’ardeur de ses soldats. Quand la nuit vint, il donna l’ordre de cesser le combat. Sans se débander, les Francs élevèrent la pointe de leurs épées et de leurs lances comme pour défier l’ennemi, et couchèrent sur le champ de bataille.
Le lendemain, la plaine était vide et le camp abandonné ; les Sarrasins avaient profité de la nuit pour s’enfuir dans le plus grand silence. La bataille gigantesque était gagnée, et Charles, le glorieux vainqueur, le sauveur de la Gaule et de la chrétienté, fut acclamé par son armée et salué du nom de Tuditis, marteau de forgeron, parce qu’il avait comme écrasé sur l’enclume les bandes innombrables de l’émir.
Extraits de : Ferdinand Hervé-Bazin, Les Grandes Journées de la chrétienté, réédition Edilys 2015.
Ferdinand Hervé-Bazin (1847-1889) fut avocat, professeur d’économie politique à l’Université catholique d’Angers. En écrivant ce livre après le désastre de 1870, il voulait montrer ces triomphes éclatants de l’Église, qui furent aussi des triomphes pour la civilisation, et qui s’appelèrent les journées du pont Milvius, de Tolbiac, de Poitiers, de Pavie, de Jérusalem, de Las Navas, de Grenade, de Lépante, de Vienne, de Peterwardein. Il pensait que de tels spectacles étaient de nature à faire aimer l’Église et aussi à relever les courages abattus.
Boulevard Voltaire