Le vote FN se propage comme les épidémies de grippe…

“Le principal essor du FN se situe entre 2012 et 2014. De la présidentielle aux européennes, il est passé de 18,5 % à 26 %. A l’époque, on a seulement voulu voir un vote contestataire, un sentiment anti-européen. Les régionales de 2015 confirment ce qui s’exprimait déjà en 2014. Ce n’est donc pas une surprise totale. Pour l’anecdote, le XIe où ont eu lieu, en partie, les attentats de novembre est l’arrondissement parisien qui enregistre le plus bas score de ce parti (7,49 %). Plus généralement, ce premier tour des régionales montre que le FN progresse d’autant plus fortement qu’il était déjà bien implanté dans la région : c’est le cas du Nord-Pas-de-Calais et de Paca où il passe respectivement de 35 % à 41 %, et de 34 % à 41 %. En revanche, il progresse beaucoup plus lentement là où il était moins présent. En Bretagne, seulement 0,3 % d’augmentation et 0,1 % en Pays-de-la-Loire.

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C’est comme un phénomène de contagion. Sur les cartes, le vote frontiste se propage comme sur celles des épidémies de grippe. Dans la vallée du Rhône, il épouse presque exactement le relief : les plaines et les vallées des fleuves sont des zones de circulation aisée, donc de rencontres entre les hommes. Les opinions et les rumeurs y voyagent rapidement. En revanche, dans les premiers contreforts des Alpes ou du Massif-Central, il devient de plus en plus faible. Le même phénomène se retrouve dans la vallée de la Garonne, où le cours du fleuve de Toulouse à Bordeaux est propice au vote FN.

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C’est un électorat très varié, il n’y a pas d’électeur type. Par exemple, 16 % des cadres et des professions supérieures votent FN. Plus que la condition sociale ou la profession, ce qui regroupe les électeurs de ce parti, c’est plutôt le sentiment de ne pas s’en sortir face à la crise, et de ne pas avoir d’avenir. Le FN recrute dans une population plus large, comprenant des artisans et des commerçants, appartenant à une classe moyenne inférieure ou à une classe populaire supérieure : autant de gens qui se sentent menacés ou bloqués dans leurs vies ou dans leur travail.

Paradoxalement, ce ne sont pas les plus pauvres qui votent FN. Ils sont plutôt abstentionnistes ou ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Les chômeurs, par exemple, ne sont pas plus frontistes que le reste de la population. Il est difficile de raisonner en catégories simples. Depuis les années 60, la catégorie typée de l’ouvrier, a fortement évolué : nombreux anciens ouvriers professionnels appartiennent désormais aux catégories intermédiaires et la solidarité de classe a fortement baissé.

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C’est incroyable, cette carte d’implantation du FN n’a pas bougé depuis des années – seuls les taux augmentent – et elle se superpose à la France de la précarité avec cette précision à rappeler : ce ne sont pas tant les plus fragiles socialement qui votent FN que ceux qui les côtoient et redoutent de basculer dans une forme ou une autre de précarité. Par ailleurs, il semble que les écarts enregistrés entre les grandes villes peu frontistes et les zones rurales ou périurbaines votant plus fortement FN se sont accentués lors de ce dernier vote.

A l’opposé, les régions qui traditionnellement votent peu FN, comme la Bretagne ou une partie du Massif-Central, continuent à résister même si certaines petites villes de l’intérieur breton ont augmenté leur score alors qu’à Rennes, il est contenu à 11 %. Là aussi, les différences s’accentuent entre grandes villes et zones rurales ou périurbaines, entre régions et intérieur des régions. La France est de plus en plus coupée en mille morceaux. Avec ce sentiment pour ceux qui vivent aux marges des grandes villes et des zones dynamiques de se sentir bloqués géographiquement. C’est comme si le rêve français du pavillon, loin des centres-villes, n’avait pas tenu ses promesses, comme d’ailleurs le système méritocratique.

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La tendance est inscrite depuis bien plus longtemps. En revanche, le mode de scrutin des régionales accentue fortement la présence du FN à la différence des départementales de mars. Lors de ces élections, le FN avait récolté 26 % des votes et obtenu 30 cantons, contre environ 800 pour la gauche et 1 200 pour la droite qui, elles, étaient respectivement à 35 % et 38 %. Avec le mode de scrutin des régionales, le premier parti qui arrivera en tête au second tour remportera 25 % des sièges et s’il dépasse les 33 %, la majorité ! L’ironie est que ce type de scrutin a été adopté en 1999 par le gouvernement Jospin pour faire barrage au FN. En 1998, des alliances entre droite et FN avaient permis à cinq dirigeants UDF de remporter la présidence de région. Afin d’éviter ces arrangements politiques douteux, le mode de scrutin a été modifié pour que gauche ou droite puisse gouverner seule. “

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