C’est un trésor qui se cachait dans les tiroirs des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale de France… Plus pour longtemps : quelque 7 500 plans du château et du domaine de Versailles des XVIIe et XVIIIe siècles seront bientôt entièrement numérisés1. Pour le plus grand bonheur du public qui pourra les consulter, dès la mi-décembre 2017, sur le site Internet du Centre de recherche du château de Versailles(link is external) (et, d’ici à deux ans, sur celui des Archives nationales), mais aussi et surtout pour celui des historiens.
« Depuis Louis XIII et son pavillon de chasse créé en 1623, jusqu’à Louis-Philippe qui a fait du château un espace muséal dès 1837 (supprimant au passage la plupart des cabinets d’aisance, d’où les clichés tenaces sur la saleté de la cour), Versailles n’a cessé d’être modifié pour répondre aux besoins des souverains successifs et loger famille, courtisans, ministres… », raconte Mathieu da Vinha, directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles. Des salles mentionnées dans les documents historiques n’existent plus dans le château tel que nous le connaissons aujourd’hui, et certaines circulations ne sont plus compréhensibles – au point que les historiens se demandent parfois, à la lecture des documents d’époque, par où les gens pouvaient bien passer ! D’où l’idée, en plus du vaste chantier de numérisation lancé dès 2013 dans le cadre du projet Verspera(link is external)2, d’utiliser ces milliers de plans au sol, coupes et élévations pour modéliser le château en 3D et en révéler les secrets à toutes les étapes de son histoire.
Initialement conçu comme un relais de chasse par Louis XIII qui était tombé amoureux du domaine de Versailles lorsqu’il était venu y chasser enfant, c’est sous Louis XIV que le château a pris l’aspect extérieur qu’on lui connaît aujourd’hui. Le roi y voit des possibilités d’extension qui n’existent pas au Louvre et démarre les travaux en 1661, dès la mort de Mazarin et le début de son pouvoir personnel : le bâtiment de Louis XIII est entouré d’une enveloppe de pierre par l’architecte Le Vau, qui bâtit de nouvelles ailes pour les communs et les écuries et construit les grands appartements. À sa suite, Hardouin-Mansart ferme la terrasse à l’italienne du château qui devient la Galerie des glaces, lance la construction des majestueuses ailes du Nord et du Midi, de part et d’autre du corps central… Soit plus de 50 ans de travaux, pendant lesquels le roi et sa famille, puis la cour tout entière, vivent dans le bruit, les odeurs et la poussière !
Des réaménagements constants
Passionné d’architecture, Louis XIV veut en effet suivre de près l’avancement du chantier et se soucie peu de l’inconfort que cela occasionne à son entourage… « En 1682, lorsque la Dauphine, enceinte, emménage au château, elle ne supporte pas l’odeur dans ses appartements et part s’installer un peu plus loin, chez Madame Colbert », rapporte Mathieu da Vinha. Louis XV n’agrandit plus le château, mais procède à de nombreux réaménagements, dans les parties privées notamment. Avec la naissance de l’intimité dans les sociétés européennes, le souverain a lui aussi droit à des espaces totalement privatifs : il fait bâtir des arrière-cabinets où il peut se dérober à la vue de la cour ; il aménage des appartements pour ses filles – huit au total, dont l’aînée seule sera mariée – ; des pièces sont réaffectées, des décors déménagés, des entresols sont créés… Au point que le corps central du château, qui comptait à l’origine trois niveaux, en dénombre désormais jusqu’à sept !
Si l’on comprend tout l’intérêt de la modélisation 3D pour retracer les évolutions du château, celle-ci n’est pas sans difficultés. « Les plans des XVIIe et XVIIIe ne sont pas codifiés comme ceux qu’on utilise aujourd’hui, explique Michel Jordan, ingénieur de recherche au laboratoire Équipes traitement de l’information et systèmes3 (ETIS), spécialisé dans le traitement de l’image numérique. C’est plus un intermédiaire entre des dessins d’artistes, parfois très joliment aquarellés, et des plans d’architecte. » Les formats, eux aussi, sont loin d’être standards. « Certains plans font trois centimètres par quatre, quand les plus grands mesurent trois mètres par quatre mètres, témoigne Pierre Jugie, conservateur aux Archives nationales, qui a supervisé le chantier de numérisation mais aussi de restauration des plans qui le nécessitaient (soit 10 % du total). « Des marques de pliures sont visibles sur certains d’entre eux, qui n’avaient pas été dépliés depuis des siècles, et peuvent être confondues avec des murs ou des cloisons une fois numérisées… »
Une modélisation à partir des plans, uniquement
Des écueils que le logiciel de modélisation a dû apprendre à contourner, afin d’extraire les informations pertinentes de la masse hétérogène des documents numérisés : en plus des « classiques » plans au sol, on trouve des plans de coupe révélant les étages et les entresols, mais aussi des élévations. Précieuses pour la reconstitution, ces dernières représentent les murs et façades et portent souvent des éléments de décor tels que stucs, cheminées, boiseries… Autre particularité de ces plans d’époque, qui n’a pas manqué de « corser » l’entreprise de numérisation : certains comprennent jusqu’à une vingtaine de « retombes » – des rabats collés sur le plan principal, qui, en l’absence de papier calque, permettaient aux architectes de proposer des variantes, de mentionner un détail ou de montrer un autre niveau…
La galerie Mignard dévoilée dans la vidéo plus haut est le tout premier espace recréé en 3D grâce au logiciel Verspera4. D’abord appartement de Louis XIV, cet espace situé au premier étage de l’aile droite du bâtiment central (autour de la cour de marbre) a ensuite accueilli sa maîtresse Madame de Montespan, avant d’être remanié en 1685 et de devenir un appartement de collectionneur où le roi exposait ses œuvres d’art, parmi lesquelles sa collection de peintures italiennes – dont la Joconde. La galerie de 15 mètres de long, dont le plafond a été peint par Pierre Mignard, est décorée de lambris et flanquée d’un salon à chaque extrémité. Elle est précédée de plusieurs pièces, comme le cabinet des Coquilles. « D’autres espaces suivront, annonce Mathieu da Vinha. L’objectif, à terme, serait notamment de suivre les évolutions de l’appartement du roi sur trois siècles, mais aussi de montrer certains projets qui n’ont pas abouti. »
Verspera n’ira pas au-delà de ce que les archives voudront bien révéler. La règle est de s’en tenir aux informations fournies par les documents d’archives.
Avec une seule limite : Verspera n’ira pas au-delà de ce que les archives voudront bien révéler. La règle est en effet de s’en tenir aux informations fournies par les documents d’archives, quitte à laisser vides de vastes surfaces, ou à produire quelques bizarreries. Le salon de l’Œil-de-bœuf, une antichambre de l’appartement du roi créée en 1701 grâce à la réunion de deux pièces, apparaît ainsi parfaitement rectangulaire sur les plans de Hardouin-Mansart, alors qu’il adopte dans la réalité la forme d’un trapèze. « Sur le chantier, l’architecte a dû s’adapter à la configuration exacte des pièces environnantes », témoigne Michel Jordan. Versailles n’a pas fini de nous étonner.
Notes
- 1.La numérisation a été rendue possible grâce au financement de la Fondation des sciences du patrimoine.
- 2.Verspera est un projet porté par la Fondation des sciences du patrimoine, le Centre de recherche du château de Versailles, les Archives nationales, la Bibliothèque nationale de France et le laboratoire Équipes traitement de l’information et systèmes.
- 3.Unité CNRS/Univ. Cergy-Pontoise/Enséa Cergy.
- 4.Avec la participation des étudiants de la licence professionnelle « Métiers du numérique – Patrimoine, visualisation et modélisation 3D » de l’Université de Cergy-Pontoise
Source CNRS