La militante associative Rokhaya Diallo ouvre une exposition incriminant le diktat capillaire des «blancs» sur le cheveu «noir». Cette exposition révèle les stratégies victimaires des antiracistes professionnels, argumente Barbara Lefebvre.
(Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de Génération j’ai le droit, éd. Albin Michel 2018).
Au naturel, le cheveu afro est sec. Il est aussi rebelle. Il a besoin de soins quotidiens, de la pointe aux racines. Notre société qui fonctionne sur le «racisme systémique» a elle aussi bien besoin d’être soignée de la pointe aux racines. Rien ne doit échapper à la rééducation des oppresseurs blancs pour restaurer la fierté raciale des racisés oppressés. La lutte finale passera aussi par les fourches caudines du peigne afro car le cheveu est un «objet» éminemment politique. Si vous l’ignoriez, c’est que vous n’avez pas conscience de la violence exercée par l’exhibition des cheveux lisses de la majorité non racisée. La domination blanche ne connaît aucune limite et la blanchité imposée par les codes culturels occidentaux aux minorités noires s’observe jusqu’à ce diktat capillaire: le cheveu crépu subit une oppression historique qui empêche les «noirs et métis» de s’assumer, de s’émanciper. C’est en substance ce que nous explique l’exposition Afro! qui ouvre samedi à Saint-Denis, généreusement financée par la municipalité et le Conseil départemental du 93.
Sur les 20 00 euros de subvention demandés par les organisatrices, Rokhaya Diallo et Brigitte Sombié, auteurs d’un livre sur ce sujet brûlant, plus de la moitié sera allouée par les collectivités publiques précitées. La mobilisation de l’opposition contre le versement de cette subvention fut vaine.(…)
On se demande jusqu’où ira ce narcissisme infantile à ne jamais vouloir se sentir « infériorisé ». Faut-il que chacun s’affirme comme un petit Etre suprême pour ne jamais risquer d’être complexé?
La coiffure nappy, c’est Rokhaya Diallo qui en parle le mieux: «Les afro-descendants arborent désormais leurs cheveux crépus sans complexes en écho au mouvement américain nappy (natural and happy). Entre désir de bien-être et manifeste politique se lève la génération décomplexée des Afropéens». Les Afropéens, on dirait du Renaud Camus à l’envers. Trêve de plaisanterie, on apprend, grâce à Afro!, que la femme noire aux cheveux crépus vivait en fait une tragédie non pas capillaire mais politique voire métapolitique. C’est pourquoi «la revendication [des cheveux naturels] tient autant du désir de sérénité et du respect de soi que de l’acte politique teinté d’une indéniable revendication identitaire (…) Tous en ont fini avec les souffrances, vexations ou complexes et goûtent avec soulagement la liberté de s’assumer et de s’affirmer» écrit la militante-journaliste. Souffrances, certes, car les séances de défrisage ou de tressage sont douloureuses ; mais de quelles vexations parle-t-on: les femmes et hommes aux cheveux crépus naturels seraient-ils publiquement humiliés, conspués? (…)
Dans une société dominée par le marketing et le consumérisme de masse qui uniformisent les apparences tout en prétendant promouvoir la liberté individuelle, beaucoup d’hommes et de femmes affaiblis par ces injonctions paradoxales sont de facto complexés ; ce phénomène ne va pas en s’arrangeant et touche, hélas, toutes les populations. (…)
Si le nappy hair, dont cette exposition fait la promotion, est une libération politique de «l’identité noire», on se demande pourquoi en Afrique, depuis des siècles, avant même que ne débarque le colonisateur blanc et sa ravissante chevelure filasse, les hommes se coupaient les cheveux ras voire se les rasaient et pourquoi les femmes se peignaient (donc lissaient) les cheveux et les tressaient au lieu de laisser leur chevelure «en liberté». Rappelons que la mode de la «boule afro» à la Angela Davis est purement nord-américaine et date des années 1960, elle a atteint l’Afrique dans les années 1970-80 avant de s’effacer devant la réinvention des coiffures traditionnelles d’une plus grande diversité esthétique.
Si les femmes africaines ne pratiquaient pas le nappy hair c’est peut-être pour des raisons prosaïques: parce que ce type de cheveu est indocile, difficile à entretenir et que la femme africaine avait et a autre chose à faire que passer deux heures matin et soir à se démêler, huiler et peigner ses cheveux? Peut-être aussi que la «femme noire» contemporaine n’en a pas les moyens financiers, vu le développement du marketing ethnique qui relègue le classique beurre de karité au rang des antiquités pour faire vivre les «entrepreneuses de la diversité» télégéniques qui commercialisent des fioles de 20 cl à 40 euros. .(…)
A l’image du cheveu, nouveau sujet pour alimenter la théorie du «racisme systémique», l’antiracisme est devenu un racisme, de la racine jusqu’aux pointes. Car il est obsédé par la différenciation raciale. Ces antiracistes ne minorent plus l’importance de la race dans les constructions identitaires individuelles, au contraire ils en affirment l’irréductible déterminisme: un blanc reste un blanc, un noir reste un noir et un monde les sépare. Ce discours se déclinant pour les identités religieuses et sexuelles, évidemment. Cet antiracisme n’aggrave pas une fracturation raciste préexistante, il la crée, il la souhaite. (…)
Le discours de ces antiracistes indigénistes est fondamentalement séparatiste. Les plus habiles masquent tout cela derrière un discours anti-discrimination plus ou moins plaintif selon les icônes.(…)
Il est intéressant de relever, au passage, l’obsession antijuive commune dans la mouvance indigéniste affiliée à l’islam politique, comme en témoignait le manifeste d’Houria Bouteldja Les Blancs, les Juifs et nous. Mais après tout, le sous-titre de la dirigeante du Parti des Indigènes de la République devrait nous rassurer: vers une politique de l’amour révolutionnaire. C’est comme avec le clip de Nick Conrad pendez les blancs, c’était «un message d’amour», s’est défendu l’intéressé, mais nous étions trop stupides ou foncièrement mauvais pour accéder à un amour d’une telle pureté.
La police de la pensée veille aux tentatives d’évasion. «Eux les non racisés contre nous les racisés»: rien de nouveau sous le soleil malgré trois décennies de catéchisme antiraciste. Ces déterminants raciaux inscrivent radicalement l’individu dans une catégorie parce que l’antiracisme raciste a adopté la grille de lecture binaire: dominants-dominés. Il faut donc que chacun entre dans sa catégorie et n’en sorte pas. La police de la pensée veille aux tentatives d’évasion. Certains de ces militants – majoritairement issus des milieux afro et antillais ou d’origine africaine – ont découvert émerveillés ce discours racialiste radical aux Etats-Unis dans les années 2000. (…)
Tous les éléments de langage de nos indigénistes, y compris dans le militantisme capillaire du «nappy hair», proviennent des «identity studies» américaines développées dans les années 1960 en s’appuyant notamment sur les travaux d’intellectuels français de la déconstruction postmoderne. La «critical race theory» qui est en train de trouver ses marques dans l’université française et dans un certain militantisme politico-associatif, occupe une place importante dans ce champ idéologique. L’approche intellectuelle attendue du chercheur n’y est pas l’analyse factuelle de toutes les données disponibles, le débat d’une hypothèse scientifiquement pertinente pour produire un savoir de portée générale, on attend de lui la dénonciation d’une oppression. Et systématiquement (puisqu’il faut ‘faire système’ pour élaborer une idéologie) cette oppression se trouvera exercée par les mêmes acteurs: des machos blancs, hétérosexuels, sans surpoids (car les «fat studies» sont également en plein développement). Le savoir académique produit est donc orienté selon des codages moraux induits par le biais de lecture de la sociologie dite critique. Ce socio-constructivisme, par sa récusation radicale de l’universalité scientifique (à leurs yeux trop marquée par la «blanchité») conduit à la négation même de l’exercice de la pensée usant de la raison. Plus rien ne peut être démontré, puisque tout peut être démonté. Les arguments les plus fallacieux sont utilisés pour déconstruire les réalités humaines universelles sur la base de ressentis identitaires individualisés, mais rapidement coalisés pour constituer une communauté et faire «système». La psychologie, sociale notamment, a montré que les ressentis face à une situation vécue sont différenciés selon les sensibilités individuelles. (…)
Il en va de même pour les «cheveux des racisés»: jusqu’où ira le discours antiraciste de la victimisation puisque même le choix de la coiffure ne saurait échapper au diktat de la race? L’antiracisme racisé est un business qui fonctionne sur l’enfermement identitaire de sa clientèle. Ces militants se qualifient de progressistes, cela devrait suffire à faire comprendre que leurs raisonnements sont tirés par les cheveux.