Alors que plusieurs églises ont fait récemment en France l’objet de démolitions, alors que le vandalisme ravage la Syrie et l’Iraq, ce qui indigne à juste titre notre ministre de la Culture, alors que celle-ci défend un projet de loi consacré au patrimoine depuis le parlement, un amendement à ce projet vient d’être repoussé par l’Assemblée Nationale, sur avis négatif à la fois du rapporteur de la Commission des Affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, Patrick Bloche, et de Fleur Pellerin elle-même.
Que proposait ce scandaleux amendement ? Que le Gouvernement remette, au plus tard au 31 décembre 2016, un « rapport au Parlement visant à définir les axes du plan de sauvegarde de notre patrimoine religieux ».
Cela fait longtemps que le ministère de la Culture aurait dû s’interroger sur ce qu’il pourrait faire pour sauvegarder le patrimoine cultuel de notre pays. Or, selon Patrick Bloche, la loi de séparation entre l’Église et l’État suppose que l’on ne protège un édifice cultuel que s’il possède un intérêt patrimonial et non en tant que tel. Or, pour lui, « les outils existent, les alternatives existent, l’objet du rapport est déjà satisfait ». Comme si l’inscription et le classement (c’est à cela qu’il fait allusion) étaient des mesures qui protégeaient l’intégralité des édifices religieux présentant un intérêt patrimonial ! Ce constat est évidemment aberrant. D’innombrables églises importantes sur le plan de l’art et du patrimoine ne font l’objet d’aucune protection. Et malgré le malthusianisme de l’État en ce domaine, des églises sont inscrites et classées chaque année au titre des monuments historiques, alors qu’elles ne l’étaient pas encore. En suivant la même logique, on aurait pu les détruire avant qu’elles ne soient protégées, cela n’aurait pas été grave.
Les cas de l’église Saint-Jacques d’Abbeville ou de celle de Gesté démontrent amplement que le système français est très loin de protéger tous les édifices qui le méritent. D’ailleurs, l’existence de la Fondation du Patrimoine dont le premier objectif est de « sauvegarder et de valoriser le patrimoine rural non protégé », créée par une loi (2 juillet 1996) et reconnue d’utilité publique, témoigne évidemment que les bâtiments non protégés mais qui doivent être sauvegardés existent. Les églises représentent une partie importante de ce patrimoine.
Il n’était pourtant même pas question dans cet amendement d’introduire un degré de protection supplémentaire, ni d’étendre le nombre de protections. Il s’agissait juste de demander au gouvernement (et en l’occurrence au ministère de la Culture) de réfléchir aux actions de toute nature, notamment financières et règlementaires, mais aussi bien entendu aux actions de persuasion, de formation, d’information… qui pourraient permettre d’éviter les vandalismes à venir. Ce devrait être une des missions premières du ministère de la Culture et aucune loi ne devrait avoir à lui demander cela. Il ne le fait pas, et il s’oppose à ce qu’on lui impose de le faire !
Certes, la députée qui a défendu l’amendement a été – c’est le moins que l’on puisse dire – très maladroite, puisqu’elle a fait allusion aux « racines chrétiennes de l’Europe », un terme politiquement incorrect, forcément regrettable dans ce contexte et parce qu’il est parfois employé par certains extrémistes. On pouvait dès lors s’attendre à ce que d’autres députés s’indignent bruyamment de ce terme. Nous nous refusions à le croire, mais il faut pourtant l’admettre : la destruction des églises prend parfois un caractère idéologique. Pour certains maires, pour certains élus, une église qui n’est pas classée ou inscrite, n’a forcément aucun intérêt artistique, mais elle n’a aussi aucun intérêt historique. Au mieux, ce sont pour eux des bâtiments comme les autres, pas plus intéressants, pas plus symboliques qu’une grange ou qu’un pavillon de banlieue. Au pire, ils représentent l’ennemi. Laisser détruire toutes ces églises qui ne sont pas protégées, cela ne serait pas du tout pour eux une perte culturelle, ce ne serait pas un vandalisme. La ministre de la Culture qui devrait plus que tout autre comprendre l’importance de ce patrimoine prend ainsi par avance la défense des vandales.