Comme il est loin, le temps des Saussure, Balmat et autres Paccard. La belle époque où le mont Blanc n’acceptait de se laisser dompter que par quelques rares audacieux, et à condition seulement que ceux-ci le respectent et fassent preuve de la plus grande humilité. Transformé par la modernité en espèce de parc d’attraction pour touristes mal élevés, ce noble et majestueux massif qui domine l’Europe, haut lieu des exploits de ce grand Monsieur qu’était Roger Frison-Roche, est, hélas, devenu au fil du temps une véritable décharge à ciel ouvert et la scène sur laquelle tous les crétins en mal de notoriété donnent libre cours à leur bêtise.
Le théâtre du n’importe quoi
Dimanche encore, après avoir longuement parlementé, des agents de la brigade blanche de Saint-Gervais réussissaient enfin à convaincre un père de famille russe de rebrousser chemin, alors que celui-ci s’engageait sur une voie d’ascension avec son fils de 10 ans dans des conditions atmosphériques exécrables et sans réservation dans l’un des trois refuges de la voie normale. « De l’inconscience pure », comme l’a très justement rappelé le maire de Saint-Gervais, Jean-Marc Peillex. Un maire qui commence à en avoir plus qu’assez de devoir jouer les « nounous », mais surtout de voir le mont Blanc systématiquement souillé par des hordes de touristes abandonnant derrière eux leurs ordures, et une foule d’« hurluberlus » multipliant les provocations dans le massif. Rien qu’au cours de ces derniers mois, celui-ci aura en effet vu atterrir à 4 550 mètres un avion de tourisme floqué Breitling, piloté par deux Suisses qui se sont ensuite tranquillement lancés à l’assaut du sommet. Plus fort encore : le 31 août, un Anglais, qui avait entrepris l’ascension avec un volumineux engin de musculation mais avait fini par s’épuiser, abandonnait l’appareil dans l’abri de détresse Vallot, à 4 362 mètres d’altitude. Le même jour, malgré l’intervention de la brigade blanche, un Allemand s’obstinait à monter en direction du sommet avec son chien aux pattes ensanglantées…
Des mesures insuffisantes
Face à cette surfréquentation du massif (entre 20 000 et 25 000 personnes par an), qui donne lieu à un véritable n’importe quoi permanent, la préfecture a bien pris le 31 mai dernier un arrêté autorisant seulement les alpinistes ayant réservé l’un des hébergements de la voie normale du mont Blanc à entamer l’ascension. Mais l’amoncellement de déchets en tout genre (y compris des machines à laver…) et les singeries de toutes sortes auxquelles se livrent les touristes dans le massif ne continuent pas moins à dégrader ce site exceptionnel. •
Franck Deletraz – Présent