La vie monastique, sous sa forme chrétienne, est presque aussi ancienne que le christianisme lui-même. Dès la fin du troisième siècle, quelques ascètes se retirent dans les déserts d’Egypte, et bientôt leur genre de vie se propage dans tout l’Orient. Certains se groupent dans les monastères : c’est le début de la vie cénobitique, c’est-à-dire communautaire.
Au VIème siècle, en Italie, Benoît de Nursie, reprend cette tradition et l’organise. Il compose pour son monastère du Mont Cassin, au sud de Rome, la Règle qui va s’imposer peu à peu à tout l’Occident et que les fondateurs de Cîteaux, Robert, Albéric, Etienne et leurs compagnons, auront à cœur de pratiquer.
C’est en 1098 qu’ils établissent en Bourgogne le Nouveau Monastère qui est à l’origine de l’Ordre. Leur propos est de retrouver l’équilibre voulu et vécu par saint Benoît dans une relation simple avec le Dieu simple. La « Charte de Charité » devient le lien visible unissant les fondations de Cîteaux. (Document sur Cîteaux 1098 : lire)
Dès 1125, des femmes poursuivent ensemble cette recherche de Dieu, selon la même tradition, au monastère de Tart (Côte d’Or). Neuf siècles plus tard, ce double projet est toujours d’actualité.
L’abbaye Notre Dame du Val d’Igny où nous vivons fait partie de la grande famille cistercienne répandue aujourd’hui dans les cinq continents. Plus précisément, elle appartient à l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, dont les membres sont plus connus sous le nom de “Trappistes”. Elle a une longue histoire puisque trois communautés s’y sont succédées avant le regroupement actuel.
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La Charte de fondation de l’abbaye d’Igny est datée de 1126. Saint Bernard étant venu à Reims régler un grave différend entre l’archevêque Renaud de Martigny et le peuple champenois, l’archevêque voulut le remercier en lui donnant un lieu pour fonder un monastère et l’emmena sur ses terres. Le vallon d’Igny fut retenu (iniacum, forme allongée de iacum, est une latinisation du gaulois iacon, terme qui désigne un emplacement, une propriété). Les moines de l’Abbaye de Clairvaux, dont c’était la quatrième fondation, arrivèrent en 1128. Ils s’installèrent légèrement plus haut et plus au sud que l’endroit actuel, là où se trouve maintenant une grange dite Ferme de la Grange, à quelques centaines de mètres seulement. Assez rapidement ils se sont transférés à l’endroit actuel.
Comme premier abbé, Bernard avait envoyé un homme de valeur, Humbert, son propre prieur. Le 28 avril 1130 eut lieu la dédicace de la première église. Mais Humbert qui languissait de Clairvaux et n’obtenait pas la permission d’y retourner, profita d’une absence de saint Bernard pour revenir, ce qui lui valut une lettre de reproche du saint Abbé. Il courba le dos et resta à Clairvaux !
Bernard envoya alors Guerric qui devint abbé en 1138, âgé d’environ 60 ans. D’abord chanoine et écolâtre de Tournai, Guerric était entré à Clairvaux vers 1120. Il nous a laissé un recueil de 54 sermons liturgiques. Ses reliques sont aujourd’hui conservées dans l’église du monastère et il est vénéré comme bienheureux.
Sous son abbatiat le monastère eut un grand rayonnement La communauté se développa rapidement. Déjà en 1135 elle avait fondé, dans la partie ardennaise du diocèse de Reims, l’abbaye de Signy, là où Guillaume de Saint-Thierry vivra la fin de sa vie. Plus tard, en 1148, fut fondée, également dans les Ardennes, La Valroy. Beaucoup de dons en terrains ou en argent permirent l’extension du domaine : jusqu’à 5000 ha avec plus de 20 granges dont il subsiste de beaux vestiges en plusieurs endroits, la mieux conservée étant Montaon à quelques kilomètres d’Igny (commune de Dravegny). La communauté compta jusqu’à 300 moines.
Au 14ème siècle, un nouveau monastère très vaste fut construit, celui que connut Dom Martène qui nous apprend que l’église était comme celle d’Arcis, mais plus grande. L’Eglise d’Arcis le Ponsart, commune dont Igny fait partie, est toujours debout. Il y a dans les villages voisins plusieurs églises de facture cistercienne (à chevet plat).
Puis vint la décadence, le régime de la Commende, les guerres dévastatrices … Le nombre des frères diminua considérablement. C’est pourtant à cette époque que les moines entreprirent de raser le monastère pour en construire un dans le style du 18ème siècle, une sorte de grande maison avec une toute petite église en rotonde. Cette construction fut terminée en 1789 ! Il restait six moines que la révolution dispersa. En 1792, le monastère fut vendu comme bien national et acheté par une famille de Reims qui vint y habiter, le préservant ainsi de devenir carrière de pierres.
En 1875, les propriétaires le mirent en vente. L’archevêque de Reims, le cardinal Langénieux, pressa l’abbé du Désert de racheter. C’est ainsi q’Igny reprit vie avec une trentaine de moines, convers et petits oblats. Les débuts, en 1876, furent extrêmement rudes, par un hiver rigoureux dans une maison quelque peu délabrée. Quelques années plus tard eut lieu la consécration de l’église qui n’avait pu avoir lieu en 1789.
Puis il y eut la fondation d’un orphelinat agricole qui ne fut maintenu que quelques années, remplacé ensuite par une chocolaterie bien aménagée qui employa jusqu’à une soixantaine d’ouvriers dont pas mal d’adolescents. Le monastère redevint abbaye et le Père Augustin Marre fut élu abbé. Plus tard, il devint évêque auxiliaire du cardinal Langénieux, puis Abbé Général de l’Ordre. C’est lui qui ordonna prêtre le Père Cassant.
Survint la Grande Guerre : Igny se trouve entre la Marne et le Chemin des Dames ! Un hôpital de campagne qu’on appelait une ambulance y fut installé pour les malades contagieux. En 1918, lors du recul des armées allemandes, le monastère sauta (le 6 août). Ne subsistait qu’une petite extrémité (la bibliothèque !).
Du beau monastère du 14ème siècle, il reste nombre de belles pierres (chapiteaux, fûts de colonnes et bases …), les fondations sur lesquelles porte toujours l’abbaye actuelle, le système d’égouts magnifiques, le mur de clôture en pierre des champs, l’étang.
De celui du 18ème siècle, il reste le portail d’entrée avec deux petits pavillons dont l’un servait d’accueil pour les dames et, près de la grange de Montaon, la résidence de l’abbé commendataire, d’autres vestiges de granges aux alentours. A proximité du monastère se trouve aussi une grosse maison forestière.
Dans les années 1960-65 furent mis au jour les vestiges d’une petite chapelle (absidiole de la grande église ? restes d’une petite église antérieure à la venue des moines ?) et l’entrée d’un cellier (?).
Monseigneur Marre, réfugié à Laval durant la guerre, comprit vite que sa communauté ne pourrait reprendre. Il fut accueilli avec ses frères à Cîteaux, dans une aile de l’hôtellerie qui s’appelle toujours Igny. Mais les dommages de guerre devaient être utilisés rapidement. Sachant que la communauté cistercienne de Laval cherchait à fonder, il offrit Igny.
La reconstruction fut rapide (1928-29) sur le modèle d’un ancien monastère cistercien, le Loc-Dieu en Aveyron, qui existe encore, et en habillant la construction de béton d’un revêtement de pierres venant des précédents monastères ; certaines sont très belles (palmettes). L’extension récente a été revêtue des mêmes pierres anciennes.
Monseigneur Marre s’éteignit le 6 septembre 1927, ayant donné sa démission d’Abbé Général en 1926. Il avait confié la reconstruction à Père Hippolyte Verrier, moine de Port-du-Salut qui fut le premier aumônier.
Les 30 fondatrices quittèrent le monastère de Laval, dans la Mayenne, le soir du 28 novembre 1929 et, après un voyage de nuit, la fondation d’Igny eut lieu le 29 novembre 1929. Quelques jours après, la première postulante frappait à la porte de ce nouveau monastère où les vocations affluèrent, permettant vingt-cinq ans plus tard la fondation de la Clarté-Dieu au Zaïre.