La terre doucement vallonnée, un clocher orgueilleux à l’horizon, des champs à perte de vue. Heureux les épis mûrs et les blés bientôt moissonnés… Non, ce n’est pas la Beauce, et pas davantage la flèche de Chartres, mais Uppsala, et sa cathédrale, la Domkyrkan.
Ville hanséatique et port très actif sur la mer du Nord, Göteborg ne manque pas de charme avec sa vieille cité, les pittoresques localités qui l’entourent et sa proximité avec l’archipel de Koster où l’on rencontre plus de phoques et de loutres que de bipèdes, 300 en tout. A l’opposé, à cheval sur le lac Mëlar et la Baltique et s’étendant sur une quinzaine d’îles, dont Stadsholmen où elle prit naissance au XIIIe siècle, Stockholm est, grâce à cette situation exceptionnelle et à quelques imposants édifices, l’une des plus belles villes du monde, chacun de ses 57 ponts réservant des vues fascinantes. Et pour cause puisque son archipel compte 14 000 îles. Un paradis pour les plaisanciers si nombreux ici.
Mais cap aujourd’hui sur Uppsala, antique capitale de la Suède, maintenant reléguée au rang de principale université et de siège archiépiscopal – dont le premier titulaire fut en 1164 un cistercien consacré à Sens – où se trouve le mieux résumée l’histoire de l’ancien royaume des Trois Couronnes.
Au commencement – le Christ venait à peine d’apporter son message –, étaient les Svéars, dont les actes étaient – aussi – dictés par une trinité divine : Thor, Odin et Freya. Et les monticules, presque aussi hauts que l’humble église qui, après l’évangélisation de la Scandinavie, supplanta le temple païen, seraient les tumulus funéraires d’Egil, Aun et Adils, les rois légendaires de la saga d’Ingling. C’est ici, à Gamla Uppsala, que naquit ce qui allait devenir la Suède : Sverije (prononcer Svérié), le royaume des Svéars.
Qu’on ne s’étonne donc pas si dans l’église, un torse provenant d’une statue romane du Christ fut longtemps adoré comme le « buste de Thor » et si, avec sa hache, saint Olaf représentait lui aussi une version fort acceptable du dieu au marteau (Mjölnir) cependant que le grain qui s’échappe traditionnellement du sceptre de saint Eric l’apparentait aisément à Freya.
Un Henry VIII suédois
Mais, en 1274, le roi Valdemar 1er, neveu d’Erik le Saint, décida de faire construire à cinq kilomètres de là la nouvelle Uppsala, peut-être pour rompre avec le paganisme alors qu’il se préparait à aller implorer l’absolution du pape Grégoire X pour sa conduite scandaleuse (il avait engrossé sa belle-sœur, religieuse de surcroît). Commença ainsi la construction de la cathédrale, le plus vaste sanctuaire de Suède car long de 119 mètres et haut d’autant, auquel concourut l’un des principaux artisans de Notre-Dame de Paris : un tailleur de pierre nommé Etienne de Bonneuil, arrivé avec une dizaine de ses compagnons… et la permission officielle de Philippe le Bel.
Ironie de l’Histoire : la Domkyrkan, où sont inhumés tant d’hommes célèbres dont Linné et Mgr Söderblom qui, archevêque d’Uppsala et donc primat de Suède de 1914 à 1931, jeta les bases du calamiteux Conseil œcuménique des Eglises (1), abrite aussi le tombeau du roi Gustave 1er Vasa. Celui qui, enfin monarque – de 1523 à 1560 – après avoir vaincu les Danois (et inventé au cours de ses campagnes militaires la Vasalöppet, la course à skis la plus célèbre du monde !), imposa en 1527 le luthéranisme érigé en religion d’Etat. Et confisqua aussitôt les biens de l’Eglise catholique, comme devait le faire quelques années plus tard son contemporain Henry VIII Tudor qui, toutefois, n’opta jamais clairement pour la Réforme, qu’il avait d’ailleurs combattue au point d’être sacré en 1521 Défenseur de la Foi par le pape Léon X (2). Autre différence entre les deux souverains : Vasa, lui, se contenta de trois épouses.
Les kebabs à l’assaut des harengs
Pendant les vacances universitaires, la quatrième ville de Suède, qui compte 40 000 étudiants sur 200 000 habitants, est une cité charmante où, les si longues soirées d’été (souvent chaud en Suède), il fait bon se promener le long du Fyrisån se jetant dans le Mëlaren et où croisent des flottilles de canards. Et où attaquent, hélas, des escadrilles de moustiques qui, heureusement, ne sont pas tigres.
Pour le moment, du moins : à Uppsala, comme dans toute la Suède, la population a bien changé depuis 1976, date de mon premier séjour, sous les coups de boutoir d’une immigration essentiellement moyen-orientale. Si les mariages mixtes restent très rares dans ce pays où plus de 90 % des viols sont commis par des allogènes, hidjebs et même nikabs font désormais partie du paysage, une mosquée très achalandée et longtemps la plus septentrionale d’Europe a été ouverte dans le quartier de Kvarngärdet et les kebabs sont en train de détrôner les pizzerias et gargotes à burgers. Lesquelles avaient déjà été fatales aux mets traditionnels : la soupe de pois bien épaisse du jeudi soir – torsdag, jour de Thor – ou les redoutables harengs fermentés, goûteux mais à l’odeur pestilentielle et que seul peut faire passer l’aquavit – vendue dans les Systembolaget aux règles et aux horaires draconiens.
Il y a quarante ans, le mouvement Bevara Sverije svenkt (Gardez la Suède suédoise), commençait à sonner le tocsin. Sans grand succès. Toutefois, en 2014, ses héritiers du parti des Démocrates de Suède fondé en 1988 ont emporté 49 sièges au Parlement avec 13 % des voix, d’où un « séisme politique » (air connu) et, afflux de migrants aidant, les sondages le montrent en progression. Espérons donc que ne viendra jamais le jour où l’aquavit sera décrétée haram et où un vertigineux minaret nanisera le clocher de la Domkyrkan !
(1) Depuis 2013, le primat de Suède est une femme, Antje Jackelen.
(2) Cette ambiguïté face à la catholicité préfigurait celle du Brexit face à l’Europe : en être ou ne pas en être ?
Camille Galic – Présent