Colonia est un film militant, évidemment orienté dans le sens de la gauche bien-pensante, mais qui possède des qualités formelles et d’étude des caractères fondamentales. En outre, s’il commence par l’évocation plus qu’attendue des dernières semaines de gouvernement du président Allende au Chili en 1973 et du coup d’Etat militaire du général Pinochet, avec le monolithisme d’usage en faveur du « camp des travailleurs », et qui mériterait pourtant en soi bien des nuances, le sujet principal glisse vers la Colonia Dignitad. Cette dernière est une secte protestante délirante, favorable au régime et mêlant logique du fondamentalisme biblique et du système concentrationnaire ; elle a été pensée et dirigée, ce qui ne s’invente pas, par un pasteur luthérien dissident et ancien SS, et a été composée principalement d’immigrés allemands au Chili et de leurs descendants.
La Colonia a en effet étroitement collaboré avec le régime du général Pinochet. Isolée, possédant de nombreuses cellules souterraines, elle a effectivement servi de centre de détention et de tortures pour opposants politiques. La grande majorité des fidèles a ignoré cette fonction peu avouable de la Colonia. Un agitateur gauchiste allemand résidant au Chili a été incarcéré à la Colonia ; sa fiancée, hôtesse de l’air de la Lufthansa, décide de l’y rejoindre, avec l’espoir de l’aider à la moindre occasion à s’évader, en postulant dans la secte.
Le système sectaire oppressif est remarquablement bien décrit, et retranscrit de façon pertinente et efficace pour une œuvre de fiction. Certains détails ne sont, et c’est heureux, pas montrés de façon explicite, comme les abominations pédérastiques effectivement pratiquées par le gourou – condamné, tardivement, pour ces faits. Il y a toujours un aspect délicat dans une œuvre de dénonciation d’une secte chrétienne, même particulièrement aberrante : le Christianisme lui-même ne serait-il pas attaqué par ce biais ? Il nous a semblé que non. Ce type de secte illustre précisément en creux la nécessité d’un encadrement rigoureux des expériences conventuelles ou assimilables, comme elles existent dans le cadre de l’Eglise catholique, qui a su sanctionner dans le temps long toutes les dérives.
Le couple principal, en dépit de convictions politiques peu nuancées et dans l’air du temps – de l’époque comme aujourd’hui du reste -, se montre attachant. Il y a entre eux comme un sentiment vrai perceptible, porté par l’interprétation d’acteurs connus, dont Emma Watson. Le système oppressif où ils sont enfermés est évidemment parfaitement indéfendable. La représentation de la Colonia, cœur du sujet paraît fondamentalement juste, ou du moins crédible. On regrettera peut-être seulement quelques détails excessifs, comme les chambres à gaz au sarin dans la Colonia, mentionnées dans des dialogues, et à l’existence tout de même improbable, ou divers points polémiques filmés de manière peu nuancée comme une supposée coopération effective de la diplomatie de la RFA à la répression chilienne. Il n’en reste pas moins que Colonia est un film certainement dur, mais fort intéressant, voire passionnant.