Multiparentalité, sauce hollandaise…

Depuis déjà quelques décennies, le concept de « famille nucléaire » avec les deux parents hétéros, la maison en banlieue et les trois enfants en prend pour son grade. Ceux de « belle-mère », « demi-frère » et même de famille homoparentale ne nous choquent plus. Mais, récemment, une forme de structure familiale moins connue a fait son apparition : la multiparentalité, soit le fait d’élever des enfants qui auraient plus de deux parents. C’est ce que se préparent à vivre un couple lesbien et un couple gay des Pays-Bas.

Jaco et Sjoerd et Daantje et Dewi se connaissent depuis une décennie et envisagent le fait d’avoir un enfant ensemble depuis six ans. Cette possibilité deviendra réalité très prochainement, quand Daantje accouchera.

Les deux couples sont mariés. Jaco et Sjoerd partagent également leur vie avec Sean, leur troisième partenaire, depuis maintenant trois ans et demi. Sean est si impliqué dans leur relation qu’il souhaite jouer le même rôle que ses deux compagnons dans l’éducation de leur futur enfant.

« Jaco et moi sommes mariés depuis maintenant 8 ans. Malheureusement, on ne peut pas aussi épouser Sean, sinon on l’aurait fait depuis longtemps », explique Sjoerd.

Étant donné que la multiparentalité ne dispose pas de cadre légal aux Pays-Bas – un enfant ne peut toujours avoir officiellement que deux parents légaux –, ils ont été contraints de signer un accord chez le notaire. « On sera cinq parents divisés en deux foyers avec des droits et des responsabilités égales. Ce sont les termes de l’acte signé », explique Dewi.

Ces dernières années, aux Pays-Bas, les lois concernant les droits parentaux pour les gays ont évolué de manière significative. Cependant, la question de la multiparentalité reste épineuse. Dans le cas spécifique de cette famille à cinq parents, Jaco a pris le rôle de deuxième parent légal, à la place de Dewi qui occupait initialement ce rôle de par son union avec Daantje.

« On voulait être certains qu’il y ait un parent légal dans chaque foyer, parce que nous souhaitons que l’éducation de l’enfant soit équitablement partagée », explique Dewi.

« L’avantage est que nous, les hommes, puissions partir en vacances sans que les douanes ne nous arrêtent en prétendant que nous voyageons avec un enfant qui, légalement parlant, n’est pas le nôtre », confirme Sjoerd.

« Si Daantje et moi-même partons voyager avec mon fils, on aura besoin d’une autorisation écrite de Jaco parce que l’enfant portera son nom de famille », poursuit Dewi.

« Les lois n’ont pas été faites pour les gens comme nous, donc nous réfléchissons constamment par quelle façon les choses fonctionneront le mieux pour nous cinq, explique Sjoerd. Je n’aurai pas de lien légal avec mon fils, donc je n’aurai pas le droit à un congé paternité quand il naîtra. Mais je veux être là. J’ai donc un papier signé de Daantje et de Jaco qui dit que je prendrai soin de “leur” enfant, ce qui me donnera le droit à des congés en tant que père adoptif, même si je ne serai pas “père adoptif”. C’est très complexe – je parle d’un point de vue légal, bien sûr, parce qu’en pratique je trouve notre situation idéale. »

Dewi assure que les cinq amis n’ont pas eu de mal à s’accorder sur le prénom de l’enfant. « Nous étions déjà d’accord sur son prénom avant même sa conception », avance-t-elle.

Si les aspects légaux de la multiparentalité sont déjà très compliqués, qu’en est-il du côté pratique ? Qui a dû coucher avec qui ?

« Coucher ensemble n’est pas quelque chose qu’on souhaitait faire, argumente Sjoerd. En gros, ce qu’on a fait, c’est : Daantje et Dewi couchaient ensemble dans une chambre, et nous trois dans une autre. À un moment, Dewi a crié : “On est prêtes”, et on est entrés dans leur chambre avec un échantillon de sperme. »

Dewi s’explique : « On avait lu quelque part qu’à cause du mucus et de la contraction du col de l’utérus, le sperme pénétrait plus facilement si la femme avait eu un orgasme pendant l’insémination. On a utilisé la poire à sauce qu’on nous avait offerte à notre mariage, mais elle était beaucoup trop grande. Il y avait beaucoup trop d’air et le sperme a jailli sur tout le lit. »

« Cette première fois a été un désastre plus qu’autre chose », dit Sjoerd en riant.

« Durant cette période d’ovulation, les mecs arrivaient et, après chaque essai, on prenait une tasse de thé ensemble, tandis que Daantje était sur le canapé, les jambes en l’air. Heureusement, elle est tombée enceinte au bout de seulement deux mois. J’avais peur que ça prenne plus de temps », poursuit Dewi.

« Beaucoup de couples hétéros nous ont dit que le sexe cessait de devenir amusant quand on essayait de faire un enfant. Je pense qu’ils devraient concevoir un enfant de la même façon que nous. Au moins, le sexe resterait le sexe et ne deviendrait pas une corvée », conclut Sjoerd.

La vaste famille – le bébé aura 5 parents, 11 grands-parents et 21 oncles et tantes – semble déjà prête pour l’heureux évènement. « On est très bien préparés, explique Sjoerd. On a déjà choisi son école. Certains de nos proches s’attendent à des problèmes, mais ce mythe sur la difficulté de prendre des décisions plus l’on est d’individus n’est pas vrai. On n’a pas le loisir d’être irrationnels. Quand on est que deux, on peut très bien se perdre dans des discussions très émotionnelles dans lesquelles chacun veut avoir raison. Mais quand on est cinq, on est obligés d’arriver à un consensus raisonnable. »

Dewi explique avoir été surprise des critiques qu’elle a reçues de la part de la communauté LGBT. « Des gens nous disent, à Daantje et moi, qu’on “ne devrait pas impliquer des hommes”, et disent aux mecs de “faire attention à ces lesbiennes qui vont vous priver de votre enfant.” Tout est une affaire de possession, de peurs, d’ego. »

Un autre souci qui semble préoccuper leurs proches est l’éventualité que Daantje et Jaco, les deux parents légaux, meurent dans un accident. « Pourtant, si ça devait se produire, ce serait un problème bien moindre que dans une famille traditionnelle, avance Sjoerd. Je souhaite à tout le monde d’avoir le même filet de sécurité que nous. Si je perds mon boulot, notre enfant sera toujours en sécurité grâce à ses autres parents. Je ne comprends pas pourquoi plus de couples ne partagent pas d’enfant. On voit tellement de jeunes parents qui galèrent pendant les premières années. Ils n’arrivent pas à dormir et voient à peine leurs amis. Nous, on aura assez d’énergie pour continuer à sortir et faire d’autres choses. En plus, nous savons chacun faire des choses différentes. C’est ce qui fait notre force. »

Le bébé devrait naître très prochainement, et tous les parents seront présents pour l’accouchement. Dewi explique qu’il a fallu un certain temps à Daantje pour s’habituer à l’idée que tout le monde serait présent pour l’évènement. Chacun aura une tâche : Sjoerd fera le plein de friandises et de boissons, Sean et Jaco devront masser Daantje là où c’est nécessaire, et Dewi soutiendra sa partenaire.

Interrogé sur la théorie de l’attachement chez les jeunes enfants, Sjoerd explique avoir une amie qui réalise une thèse sur le sujet et argumente : « Selon elle, le plus important, c’est la constance du cadre familial. C’est quelque chose que nous sommes à même d’offrir. »

« Le monde d’un enfant s’élargit au fil du temps, mais dans les phases initiales, un enfant peut s’attacher à environ cinq personnes. Ça marchera parfaitement pour nous », conclut-il.

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