Ces pathétiques quincados!

(Illustration: photo de David Miège)

Vous avez entre 45 et 55 ans, parfois de grands enfants, mais, des habits au langage, en passant par les loisirs, les sports et les voyages, vous continuez à vous comporter comme un jeune de 30 ans. Vous vous trouvez pathétique, on dit de vous que vous êtes un éternel adolescent? Vous avez vu le film While We’re Young et vous vous êtes reconnu? Vous avez tort de vous flageller, car, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’âge a rajeuni, dit le sociologue Serge Guérin, et le regard social doit évoluer. On a bien envie de l’écouter.

Le quincado. Non, ce n’est pas un nouveau jeu de la Loterie Romande. C’est une appellation née en 2013 définissant cette population d’un bon niveau socioculturel qui vit son âge senior (depuis ses 50 ans) avec un élan déconcertant. Etonnamment, ce terme est plutôt appliqué aux femmes. Sans doute parce que les hommes ont, depuis longtemps, leur midlife crisis où ils s’inventent une nouvelle vie. Le quincado, donc, est un baby-boomer qui a grandi dans les années 60, 70 et qui préfère la liberté à l’autorité, les sorties aux corvées, le travail choisi à la besogne subie, les voyages improvisés aux vacances programmées. Rien n’est arrêté, tout est à créer. Les spécimens féminins sont proches de leurs filles adultes avec qui elles partagent t-shirts et, parfois, petits copains. Les prototypes masculins aiment les jeux vidéo, le sport à haute dose et les soirées qui durent jusqu’au petit matin. Tous deux sont plutôt des accros des réseaux sociaux. Fin de la liste, car, précisément, un quincado ne veut pas se laisser enfermer. Sa vie, il la façonne au jour le jour et rejette toutes les étiquettes…

Mylène a 55 ans, mais en paraît dix de moins. Depuis quatre ans, cette Parisienne, ex-directrice d’une agence de publicité, tient un blog, Happyquinqua.com, et a toutes les caractéristiques de ce nouveau label. «Si je suis une quincado? Je trouve le terme un peu barbare, mais je me reconnais bien dans la définition. Depuis que j’ai vendu ma boîte de pub, je fuis tout ce qui peut me stresser et, oui, ma vie ressemble assez à un conte de fées», sourit-elle au téléphone. Jogging régulier dans les parcs parisiens, voyages fréquents à New York à travers un échange d’appartement, consulting pour jeunes entreprises, cafés avec les copines, sorties culturelles, lecture et écriture, Mylène affiche de fait un quotidien libéré. Comment réagit son entourage à cette existence fluide? «Mon ami, qui a mon âge, est un créatif. Il s’accommode très bien de ce fonctionnement. Idem pour mes enfants. Que ce soit mon fils de 27 ans ou ma fille de 22 ans qui vit à New York, les deux semblent contents d’avoir une maman dynamique et libre de ses mouvements. Encore hier soir, on a «jamé» tous les trois, mon ami au piano, mon fils à la guitare et moi au chant, et on a passé un magnifique moment. Enfin, pour mes parents, je ne vis pas dans la même ville qu’eux, mais je vais les voir une fois par mois et ils sont solidaires de mes choix. Même assez fiers, je crois.»

Que Mylène se sente jeune, c’est un fait et, visiblement, un fait réjouissant. Mais souhaite-t-elle aussi «paraître» jeune? Autrement dit, a-t-elle recours à la chirurgie esthétique pour atténuer les effets du vieillissement? «Déjà, je me suis toujours protégée du soleil, mais depuis cinq ans, je fais des injections de botox, de manière très modérée, une fois tous les deux ans, répond l’intéressée. Mon esthéticien m’applique aussi des masques et un traitement à la lumière pulsée. Je suis contre la chirurgie esthétique, car elle trahit ce qu’on est. Mais je ne pourrais pas ne rien faire dans mon milieu où toutes mes amies agissent en douceur contre les ravages de l’âge!»

La question de l’intervention sur son propre corps semble superficielle et pourtant, elle est cruciale. Serge Guérin, sociologue, précise la nuance: «Les quincados ne sont pas le reflet d’un refus de vieillir, ils sont les bénéficiaires d’un rajeunissement objectif. Il y a encore quinze ans, un quinquagénaire qui se faisait licencier était un homme fini. Aujourd’hui, un quinquagénaire qui se fait licencier entame une nouvelle vie, car il sait que son existence peut encore durer quarante à cinquante ans.» Les personnes qui recourent à la chirurgie esthétique se situent dans un tout autre processus, sanctionne le sociologue. «Elles ne s’assument pas, s’éloignent d’elles-mêmes, se nient, et ça, c’est problématique.»

Sinon, le spécialiste est formel. Auteur de Silver Génération, un ouvrage qui lutte efficacement contre dix idées reçues concernant le vieillissement, troisième et quatrième âge compris, Serge Guérin affirme que «l’âge a rajeuni». Il distingue trois mutations à l’origine de cette évolution. «Il n’y a jamais eu autant de gens en activité à 50 ans. Ensuite, c’est la première fois dans l’histoire que cet âge correspond à la moitié de la vie. Enfin, c’est aussi la première fois que les gens arrivent à 50 ans dans une telle forme, que ce soit sur les plans physique ou neurologique.»

Une juvénilité dont témoigne Sébastien, qui, à 48 ans, se prépare à un avenir de quincado flamboyant. «Je suis en effet un grand gosse. J’adore flâner dans les rayons de jouets ou passer des soirées sur les jeux vidéo. J’aime aussi prendre une fausse voix au téléphone et faire marcher mon interlocuteur. Et encore ceci: je fréquente pas mal de gens qui ont facilement dix ans de moins. D’où un langage assez jeune avec des blagues franchement limites qui choquent mes deux enfants, pourtant adultes.»

Evidemment, ce constat de juvénilité décontractée concerne moins «les personnes qui travaillent sur un chantier», admet le sociologue, mais «la société doit évoluer et réaliser qu’à 50 ans aujourd’hui, on est moins vieux qu’il y a encore quinze ans».

Qu’en est-il des enfants? Comment ces jeunes de 20 à 30 ans trouvent-ils leur place dans cette nouvelle société saturée de vieux rayonnants? «Je suis contre l’idée de guerre des générations, poursuit Serge Guérin. Aujourd’hui, le savoir est transversal. Il n’est pas rare qu’un adulte âgé demande à un jeune de lui expliquer quelque chose, notamment sur le plan technologique. Chacun a donc sa légitimité.»

Et l’autorité? Mylène l’avoue volontiers: dans l’éducation de ses enfants, elle a toujours privilégié «l’amour et l’autonomie» avec, concède-t-elle joliment, des «résultats relatifs». «Là, on touche à un point sensible», reconnaît Serge Guérin. «Issus des années post-68 où il était interdit d’interdire, les quinquas pratiquent souvent un rapport copain-copain avec leurs enfants. Ce qui provoque certaines dérives en matière de hiérarchie, c’est vrai.» L’antidote? «Repenser la transmission. Je suis contre la relation autoritaire, mais je suis pour la relation d’autorité. C’est-à-dire une relation dans laquelle le quinquagénaire connaît sa valeur et transmet son expérience aux générations d’après.» Le quincado? Loin, très loin d’un individu infantile et décérébré.

Silver Génération, Serge Guérin, Ed. Michalon, Paris, 2015.

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