Plusieurs maisons à un étage ont été découvertes récemment dans le village néolithique de Çatal Höyük, en Turquie. Elles témoignent du fait que cette innovation architecturale s’est produite peu de temps après l’invention de la maison en pisé.
Dans la plaine de Konya, les paysans construisent en terre depuis 10 000 ans. En témoigne ce mur de l’une des maisons du village le plus proche de Çatal Höyük, construit à partir de briques de terre séchée empilées et scellées à l’aide d’un mortier de boue, le tout recouvert d’un enduit de boue. On note l’emploi de roseaux dans la construction du toit, une technique sans doute proche de celle employée à Çatal Höyük.
Les restes de ces maisons consistent en de hauts murs parcourus en leur milieu par une rainure horizontale. Selon l’archéologue Lüfti Önel, du ministère turc de la Culture, il s’agit là de la marque des poutres supportant un sol intermédiaire, réalisé sur le même principe que le toit. Ces anciennes maisons à un étage ont été construites il y a plus de 7 500 ans, ce qui montre que cette innovation a suivi d’assez peu l’invention de la maison elle-même. Expliquons.
Çatal Höyük est ce que les Turcs nomment un höyük et les Arabes un tell, c’est-à-dire une colline résultant de l’accumulation de maisons en terre édifiées puis démolies à chaque génération pendant des millénaires. Dans tous les pays du Croissant fertile (vaste zone qui s’étend de l’Égypte à l’Anatolie en passant par le Levant, l’Iraq et l’Iran, où est apparue l’agriculture), se trouvent des milliers de telles collines artificielles, et on y a déjà retrouvé des maisons à un étage.
Les premiers habitants de Çatal Höyük étaient des chasseurs-cueilleurs. On ignore quand exactement a été fondé ce grand village, car il n’a pas encore été fouillé jusqu’aux derniers niveaux, mais son importance – il aurait compté jusqu’à 8 000 habitants – va dans le sens d’une grande ancienneté. Les plus anciens höyüks de la plaine de Konya, par exemple celui de Boncuklu Höyük situé à quelque dix kilomètres de Çatal Höyük, ont été édifiés vers 9000 avant notre ère, c’est-à-dire il y a 11 000 ans. Pourquoi des Épipaléolithiques, c’est-à-dire des chasseurs-cueilleurs en voie de sédentarisation, ont ils choisi de se fixer dans cette plaine froide et aride entourée de montagnes ?
Sans doute parce qu’ils y trouvaient de quoi chasser et de quoi cueillir. On ignore ce qu’ils pouvaient ramasser, mais leur évolution culturelle semble avoir été longtemps marquée par le culte d’une divinité taurine représentée à l’intérieur des maisons par des crânes d’aurochs (des bucranes) inclus dans de petits socles de terre. Cela suggère que les vaches sauvages qui paissaient sur cette immense plaine parsemée de cours d’eau et de marais constituaient pour eux une ressource privilégiée. Une scène de chasse au taureau datant du VIe millénaire avant notre ère a d’ailleurs été retrouvée sur la paroi de l’une des maisons de Çatal Höyük.
Or si le site de Çatal Höyük fascine tant les spécialistes du Néolithique, c’est parce qu’il a livré de spectaculaires témoignages sur toutes les grandes innovations qui ont permis de passer d’une économie de prédation à une économie de production. Le site illustre en particulier que les premières maisons ont été inventées et construites non seulement avant la poterie, mais aussi avant la domestication des animaux et des plantes. Les 18 niveaux successifs repérés dans la stratigraphie du village témoignent en effet de la construction de premières maisons dès 7500 avant notre ère au moins, de l’apparition de la poterie et des textiles vers –7000, de la première exploitation laitière vers –6600, de la domestication du bétail vers –6200, peu avant celle des plantes, de l’inhumation systématique (dans les maisons), des premières industries métallurgiques, etc.
Ainsi, la construction de maisons en terre est l’une des toutes premières innovations de la néolithisation. Les habitants de Çatal Höyük construisaient leurs maisons en adobe, c’est-à-dire en briques de terre crue mêlée de paille et séchées au soleil. Pour édifier les murs, ils empilaient ces briques en rang décalés, puis les scellaient entre elles à l’aide d’un mortier de boue, dont le ton plus clair que celui des briques est encore visible aujourd’hui sur les murs de Çatal Höyük. Il est fascinant de constater que les villageois locaux construisent toujours des maisons en employant les mêmes techniques !
Les maisons de Çatal Höyük étaient par ailleurs couvertes d’un toit constitué par un clayage enduit d’une épaisse couche de boue, le tout reposant sur des poutres. A priori, on en descendait par une échelle glissée dans une ouverture du toit, sous laquelle se trouvait un foyer. Cette évacuation peu efficace de la fumée implique que les maisons devaient être très enfumées. De fait, nombre de défunts retrouvés enterrés sous les banquettes-lits en terre meublant l’intérieur des maisons avaient des côtes couvertes d’une couche de suie. Sans doute parce que les poumons de ces anciens habitants en étaient saturés au moment de leur mort !
L’espace social de Çatal Höyük était probablement constitué par les toits des maisons, car celles-ci étaient très serrées les unes contre les autres. Peut-être est-ce à cause de ce resserrement que, très tôt, les habitants du village ont commencé à dédoubler leurs maisons en leur ajoutant un étage? Les villageois qui ont mis au point ces sols intermédiaires disposaient sans nul doute du savoir technique nécessaire. En effet, par exemple à Dhra près de la mer Morte, des silos céréaliers vieux de 9 500 ans avant notre ère, étudiés à la fin des années 2010 par Ian Kuijt, de l’Université Notre Dame aux États-Unis, comportaient déjà un fond surélevé construit à partir de petites poutres et d’un clayage de roseaux recouvert d’argile. Il a donc suffi de transposer ce même principe à la construction d’un sol intermédiaire dans une maison.
Qu’est-ce qui a pu conduire les villageois à élever leur maison ? Une population de plus en plus grande ? Une volonté ostentatoire ? Le désir de pouvoir stocker chez soi plutôt que dans les silos collectifs ? Nous l’ignorons. La seule chose certaine est que Çatal Höyük, déjà témoin de tant d’innovations, nous livre aussi une sorte de témoignage sur l’invention du gratte-ciel…