« Je n’avais pas prévu qu’ils avanceraient si vite », avouait sans détour le président Obama avant de reprendre le cours de ses vacances gâchées par l’offensive des djihadistes dans le nord de l’Irak. Ce n’est vraiment pas la peine d’avoir de si grandes oreilles (je parle, bien entendu, de celles des divers services de renseignements américains) pour capter aussi mal les échos de l’actualité. La surprise du « commandant en chef », surprise apparemment partagée par les auxiliaires européens du gendarme du monde, ne peut que nous amener à nous interroger sur leur capacité à dominer une situation qu’ils semblent avoir du mal à analyser.
Comment se peut-il que les forces armées du « califat » de M. Al Baghdadi, dont les effectifs sont évalués à seulement 25.000 combattants, soient simultanément en état de contrôler une zone de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés qui ne cesse de s’étendre, des grandes villes telles qu’Alep ou Mossoul, de menacer Erbil et Bagdad, de forcer les farouches peshmergas à battre en retraite après avoir mis en déroute une armée irakienne forte sur le papier de plus de 300.000 hommes et de contraindre à un lamentable exode des centaines de milliers de civils ?
La première réponse, et qui crève les yeux, est que tout simplement ces hommes qui n’ont plus rien d’humain répandent devant eux une terreur abjecte. Ces gens ne craignent pas la mort, aussi bien celle qu’ils infligent à qui leur plaît – ou leur déplaît – que celle qui leur permet de passer instantanément du champ de bataille à un jardin de délices éternelles. Bien loin de chercher à gagner les cœurs et les âmes de leurs adversaires, ils se font une règle et un plaisir de les épouvanter par le bruit, le spectacle et la revendication de leur implacable cruauté. Dès le départ, l’avantage, dans l’affrontement physique des corps et des courages, va à ceux qui aiment la mort face à ceux qui ont la faiblesse d’aimer la vie au point de ne plus vouloir risquer de la perdre.
Une deuxième raison tient à la supériorité de l’armement des djihadistes dans les combats terrestres. Les sommes considérables que leur ont rapportées le racket, les rançons et le pillage, la qualité des équipements tout neufs que les soldats irakiens ont eu l’obligeance de leur abandonner sans coup férir, l’entraînement de ces soldats aguerris en feraient en tout état de cause des adversaires à ne pas sous-estimer.
Une troisième raison découle du cynisme parfaitement organisé avec lequel ils traitent les populations tombées en leur pouvoir. Sans s’embarrasser le moins du monde des ménagements généralement observés par les armées d’occupation – l’administration, le ravitaillement, la sécurité des peuples occupés, voire le souci de se les concilier ou de gagner leur soutien –, ils poussent devant eux comme des troupeaux ceux qu’ils n’ont pas liquidés, sachant que ces malheureux réfugiés sèmeront la crainte par leurs récits apocalyptiques, et que leur flux, avec la nécessité de les nourrir, de les loger, de les protéger, pèsera sur la logistique du camp adverse et gênera ou paralysera ses mouvements. Sûrs de leurs arrières énergiquement nettoyés, ils comptent à l’inverse sur la cinquième colonne que constituent, dans les zones qui sont leurs prochains objectifs, leurs partisans cachés qui n’attendent que leur apparition pour se soulever et rejoindre leurs rangs.
Ce n’est pas l’aide humanitaire promise par MM. Cameron et Hollande, et ce ne sont même pas les quelques coups ciblés que leur porteront de çà de là quelques avions américains qui sont de nature à arrêter l’inexorable progression des barbares sur le sol irakien. Tourné vers l’électorat états-unien à trois mois des élections de « mid-term », Barack Obama a bien pris soin de préciser qu’il n’envisageait pas « une solution militaire américaine ». En bon français, cela signifie qu’il n’enverra pas de troupes au sol et qu’il se prive donc, par avance, de la seule possibilité actuelle de contenir, a fortiori de contrer l’avance des djihadistes. Le message présidentiel convient parfaitement à ceux-ci. Les djihadistes et leur calife, figurez-vous, croient dur comme fer à Allah et aux solutions militaires.