Savez-vous pourquoi, à la différence de Roland-Garros, le tournoi de Wimbledon s’interrompt le dimanche ? Pour laisser une journée de calme aux habitants du quartier (et au gazon). En entendant, cette information dimanche matin (sur France Inter), après une nouvelle nuit gâchée, j’ai ressenti une immense jalousie pour les Londoniens. Une ville qui fait encore prévaloir la vie concrète de ses habitants sur les exigences des jeux du cirque apparaît déjà comme l’un des derniers refuges de la civilisation. Et le centre de Paris, ce week-end, offrait une inquiétante illustration de la barbarie.
On ne peut pas dire que la fête a viré au cauchemar comme dans les récits de faits divers, car la fête est le cauchemar. Précisément, ce que notre bonne maire appelle la fête : trois soirs de suite, tout le centre de Paris, de la Bastille au Palais-Royal, a été livré à un fracas indescriptible doublé d’un embouteillage géant où des milliers de malheureux qui avaient le mauvais goût de sortir du boulot ou d’avoir à traverser Paris d’est en ouest, ce qui, en plein mois de juillet devrait être une promenade de santé, se sont retrouvés piégés des heures durant. Un spectacle rythmé à intervalles réguliers par des concerts de klaxons excédés et impuissants, tandis que, sur les trottoirs des grappes de passants tentaient à grand peine de progresser. Dans une atmosphère saturée de fumées d’échappement et de colère, des altercations éclataient pour un rien. En quoi que nous y soyons habitués, la présence de centaines de policiers transpirant dans leurs équipements – et heureusement munis de bouchons d’oreille –, achevait de donner à l’ensemble un petit air de guerre.
Sauver le pôle Nord, détruire Paris
Vous vous demandez quelle catastrophe a bien pu survenir en plein Paris sans que vous en fussiez informés. Celle-ci avait pour nom le festival Fnac Live. Trois jours de concerts gratuits, de 17 heures à minuit, offerts au bon peuple de Paris sur le parvis de l’Hôtel de Ville (les privilégiés ayant pu assister au concert de Julien Clerc à l’intérieur). Ce qui, en bon français, signifie que madame le maire croit bon d’offrir à ses copains de la Fnac une belle campagne de pub. On en a vu d’autres direz-vous, alors que Paris se couvre de bâtiments siglés Vuitton, Pinault ou Arnault. Certes. Mais pour que la Fnac puisse utiliser mon temps de cerveau disponible, il a fallu réduire en bouillie celui de milliers de gens.
En effet, pour que cette sauterie se déroule sans anicroche, on a interrompu la circulation sur les quais hauts dans le sens est-ouest, envoyant ainsi tout le trafic vers la rue de Rivoli, et fermer tous les accès entre la rive droite et la rive gauche de la Seine d’Austerlitz à Palais Royal (que les non Parisiens me pardonnent ces détails topographiques). En résumé, pour boucler le parvis de l’Hôtel de Ville, on a paralysé la capitale. Ajoutons que le malheureux quartier coincé entre Notre-Dame et l’Hôtel de ville paye déjà un lourd tribut à la fabrication du Parisien nouveau, avec Paris-Plage, qui à partir de minuit, déverse tous les week-ends dans les rues son contingent de noctambules, gracieux vocable qui cache des individus avinés et braillards. C’est ce qu’on appelle la poésie de la nuit. Notre maire est en croisade pour le climat. Il est étrange de vouloir sauver le pôle Nord et de s’ingénier, en même temps, à détruire par tous les moyens les conditions de la vie humaine à Paris.
On me dira certainement que tous les malheureux qui ne partent pas en vacances et les touristes ont bien le droit de s’amuser. Pardon, mais je ne vois pas pourquoi l’amusement de quelques milliers devrait se payer de la souffrance d’un nombre bien plus considérable de leurs compatriotes. Qui leur rendra les heures de vie perdues dans ce bruit et cette fureur ? Ne peut-on pas organiser un concert dans une salle ou, si on tient au plein air, dans le bois de Vincennes ? On finit par penser que pourrir l’existence de ceux qui refusent d’adhérer au nouveau monde fait partie du programme.
Vidéo: spot de l’office de tourisme de Paris, intitulé C’est beau Paris la nuit.