“Un journaliste qui meurt dans la bataille pour la liberté d’expression, c’est un journaliste qui entre dans l’Histoire»!

«Piquer, faire mal, mais ne pas tuer», telle est la devise de Joseph Moukarzel, rédacteur en chef du journal satirique libanais Ad Dabbour. Fondé à Beyrouth en 1922 par son arrière grand-père, l’hebdomadaire, dont le nom signifie en français «le frelon», revendique son indépendance à la fois politique et religieuse dans un pays multiconfessionnel meurtri par quinze ans de guerre civile. Hommes politiques ou religieux, le Dabbour s’attaque aux dirigeants de tous bords, sans censure. Une liberté rare dans la presse libanaise qui pousse régulièrement certains grands journalistes du pays à écrire, sous pseudonyme, dans le journal satirique.

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Ad Dabbour a imposé sa liberté de ton et de parole malgré des menaces récurrentes qui ont d’ailleurs conduit à la démission d’une grande partie de l’équipe de rédaction au début des années 2000. «Du jour au lendemain, tout mon staff a démissionné», raconte Joseph Moukarzel. «Je pensais alors que l’aventure était terminée. Mais après un temps de réflexion, je me suis dit que les guerres n’avaient pas arrêté le journal et que cela devait être un message», poursuit-il. Quinze jours plus tard, il parvient à convaincre la grande majorité de ses rédacteurs, caricaturistes et dessinateurs de revenir. «Comme réponse à nos détracteurs, nous sommes passés de 24 à 36 pages un mois plus tard», ajoute fièrement le rédacteur en chef.
«La liberté d’expression n’a pas de limite»

«Lorsque l’on attaque directement une religion en tant que telle, on offre aux extrémistes un argument de taille pour recruter des croyants qui se sentent rejetés et peu respectés.»

Si pour Joseph Moukarzel, «la liberté d’expression n’a pas de limite», les journalistes doivent toutefois prendre conscience de leurs responsabilités. «Comme je l’ai dit un jour à Cabu, avec la globalisation, nous ne sommes plus limités à notre environnement direct. Nous pouvons écrire un sujet dans un pays libre et démocratique, qui va provoquer des morts à l’autre bout du monde, comme cela a été le cas par exemple au Yémen ou au Pakistan après la publication des caricatures de Mahomet», explique-t-il. «Et qui sommes-nous pour qu’au nom de la liberté d’expression, nous engendrions des morts?». Impensable toutefois de ne pas aborder la thématique religieuse mais selon lui, mieux vaut ne pas attaquer les religions «de façon frontale». «Nous pouvons ridiculiser les hommes de religion», estime-t-il, «mais il faut éviter de toucher aux croyances». «Lorsque l’on attaque directement une religion en tant que telle, on offre aux extrémistes un argument de taille pour recruter des croyants qui se sentent rejetés et peu respectés», explique-t-il.
Après l’attaque meurtrière qui a frappé Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 à Paris, Joseph Moukarzel assure avoir ressenti colère et dégoût mais aussi une certaine inquiétude: «J’ai été choqué de voir que la liberté d’expression pouvait être si vivement attaquée en France, pays qui est le bastion des libertés de l’Homme», explique-t-il. Face aux semeurs de mort, le rédacteur en chef a développé sa propre philosophie: «en nous tuant, ils perdent et nous gagnons parce qu’un journaliste qui meurt dans la bataille pour la liberté d’expression, c’est un journaliste qui entre dans l’Histoire».

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