« Le Miel » de Slobodan Despot

Le Miel, road trip poétique à travers l’ex-Yougoslavie déchirée par la guerre est aussi un roman de réinformation.

 Voici son argument brièvement présenté: « En sauvant un apiculteur déraciné, le Vieux, au bord d’une route délabrée par la guerre, Vera l’herboriste ignore qu’elle se sauve elle-même. Pour le comprendre, il lui faudra recueillir l’histoire du fils, Vesko le Teigneux, encore prisonnier de ses peurs. Le voyage épique de Vesko en voiture avec son père, à travers un pays devenu étranger, n’a été possible que par la grâce d’une substance bénéfique, un véritable viatique : le miel. Chacun de nos gestes compte. »

Dans Le Miel il n’y a ni « bons » ni « méchants » mais des hommes qui luttent. Slobodan Despot nous y montre l’envers du miroir : la guerre vue du côté des diabolisés.

 Avec des formules qui claquent comme des balles:

 « (Dusan) se distingua suffisamment par sa bravoure pour figurer sur la liste des criminels de guerre dressée par le camp d’en face » (p. 31) ;

« L’architecture moderne et son équivalent le communisme ont voulu tout standardiser, tout rationaliser » (p. 60) ;

« “Dans cette province riante, chaque hameau est un Oradour-sur-Glane”, écrivit le petit journaliste dans son quotidien. On lui retira le dossier yougoslave pour partialité. Il fut le dernier étranger à recueillir et relayer la voix de cette enclave serbe » (p. 61) ;

« Contre qui prendre parti, sinon contre les mensonges qui déferlaient avec un grondement de cataracte… » (p. 120).

Mais au-delà de la politique et de la guerre, le héros redécouvre la nature : « Tandis qu’il contemplait ces forêts silencieuses, une question toute bête vint lui occuper l’esprit : comment appelait-on ces arbres ? De quelle essence, les hautes futaies ? De quelle essence, les arbres frisés ? Et ces magnifiques frondaisons qui scintillaient en gris et argent au gré du vent, et dont le bruissement devait être une caresse ? Aucune idée. Son père les connaissait sans doute. Mais lui, le stupide citadin, allait peut-être mourir sans avoir su reconnaître un seul arbre autour de lui. (…) Qu’avait-il appris au juste ? » (p. 69, 70).

Voici un miel à déguster d’urgence !

Slobodan Despot, Le Miel, Ed. Gallimard, collection Blanche, 2014, 128 pages.

 Slobodan Despot est un éditeur et écrivain suisse d’origine serbo-croate, né le 24 juillet 1967 à Sremska Mitrovica. Il est le cofondateur et le directeur des éditions Xenia à Sion.

Lu dans Polémia

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