La bande dessinée est le refuge du dessin, l’Art du XXème siècle l’a abandonné, le livre fut son refuge, d’abord avec l’illustration, puis la bande dessinée. Pour ma génération, enfant des années soixante, adolescent des années 70 à 80, la bande dessinée était formidable, nous sommes passés de Tintin et Spirou à Pilote qui a évolué avec ses lecteurs. Pour un enfant qui dessinait, ce qui était mon cas la bande dessinée était une évidence, elle était depuis peu (à peine, une génération) un métier, je m’y suis précipité.
Vous avez consacré au dessin plus de trente années de votre existence, quel regard portez-vous sur votre œuvre, quel fil directeur y apercevez-vous ?
J’ai débuté dans Métal Hurlant qui fut sans doute le meilleur journal de son époque et ce, même au-delà de nos frontières, mais lorsque je suis arrivé, c’était déjà une période finissante. J’ai connu les grandes années de la publicité qui avait des moyens, ce fut une carrière de mercenaire, de prestataire ; je voulais dessiner, j’ai donc dessiné. J’en ai vécu, plutôt pas mal. Je me suis satisfait « d’en être ».
Mais pendant mes dernières années dans cet état d’esprit, disons jusqu’à la quarantaine, cela m’a satisfait de moins en mois. Je dessinais la série d’un scénariste, intitulée Pirates chez Casterman et je n’aimais pas cela, je n’étais pas d’accord avec le récit. Etre juste un dessinateur était devenu frustrant. J’ai donc voulu écrire mes propres livres et ai choisi d’adapter Jean Raspail.
Avec Sept Cavaliers puis Les Royaumes de Borée, vous avez en effet poussé la porte de l’univers raspalien, ce qui ne devait pas paraître chose facile. Comment est né ce projet ? Raspail est-il venu à vous ou vous à lui ?
J’étais un lecteur de Jean Raspail, j’avais poussé la porte de son œuvre avec ce que je considère comme son chef d’œuvre Qui se souvient des hommes. Ensuite, j’avais tiré le fil et remonté ses autres livres. Lorsque j’ai voulu travailler seul, je me suis tourné vers son monde. Tout d’abord vers Qui se souvient des hommes, mais il était difficilement adaptable en bande-dessinée. J’ai relu Sept Cavaliers et cela m’a paru une évidence… Je suis parti.
D’une certaine manière, c’est un parcours comme le sien, jusqu’à plus de quarante ans Jean Raspail ne s’autorise presque pas le roman, qui est pourtant son ambition de jeunesse. Lorsqu’il écrit, ce sont des livres de voyages. Il réalise des films. Lorsqu’il se lance, c’est pour Le Camp des saints. Comme lui, je suis un auteur tardif.
C’est l’éditeur qui a proposé mon projet à Jean Raspail. Il n’était pas enthousiaste à l’idée d’être adapté ,car le cinéma l’avait plutôt trahi. Lorsqu’on lui a présenté les trois premières planches de Sept cavaliers, il a eu cette formule : « Ce type est dans ma tête ». Nous ne nous sommes plus lâchés.
Êtes-vous, vous aussi, un grand amateur des causes nobles mais perdues, d’autant plus nobles d’ailleurs qu’elles sont perdues ?
Le goût des causes perdues me paraît un goût très français, sans doute issu de la construction de notre nation au XIXème siècle, et du mythe d’Alésia. La France contrairement à d’autres pays a magnifié une défaite et un héros sacrifié, quasi « christique » : Vercingétorix. Ailleurs on préférait valoriser comme acte fondateur de la nation, une victoire. Notre goût pour les « loosers magnifiques » vient de là sans doute. En ce moment, j’écris et dessine pour les éditions Glénat, deux albums qui s’intituleront Le capitaine perdu. Une histoire que Jean Raspail a effleurée dans son dernier livre En canot sur les chemins d’eau du roi. Sur les bords du Mississippi, un capitaine doit contre son gré abandonner les Indiens au milieu desquels il vit et rendre aux Anglais les clés de toute l’Amérique. Le moment où la France renonce au monde…
Vous avez évoqué dans un autre entretien que l’univers de Raspail vous avait séduit par sa ressemblance avec celui d’Hugo Pratt, dont les personnages conjuguent action et contemplation et entretiennent des caractères très aristocratiques…
Cela m’a frappé lorsque j’ai mis en images Sept Cavaliers. Je ne prétends pas me comparer à Pratt, loin de là, mais je sentais une parenté dans l’attitude des personnages, qui sont dans l’action et la regardent se faire en même temps. J’ai dit cela à Jean Raspail et il m’a confié avoir tout lu de Pratt. La parenté existait bien.