Georges Simenon, empereur de papier

Qu’est-ce que la simenonite ? En ouverture de l’ouvrage qu’il vient de consacrer à Simenon, romancier absolu, Jean-Baptiste Baronian en tente une définition : cette addiction à l’œuvre de Georges Simenon, qui débute souvent avec les Maigret, est un mal bénin, peut-être même souhaitable. Car Simenon, ce romancier populaire que la critique pédante aima mépriser, a le talent rare de nous guérir en quelques chapitres de la grisaille du quotidien. « La simenonite est tenace et elle ne se soigne pas. » Pourtant, il faut avouer que l’œuvre pléthorique du romancier liégeois est un véritable empire de papier, qu’il est difficile d’embrasser.

Son auteur lui-même ne se laisse pas facilement saisir, ni même circonscrire. Les jalons biographiques qu’il a fixés dans ses textes sont à prendre avec des pincettes. Même Pedigree, son grand roman autobiographique, est trop honnête pour être véritablement sincère. Il faut donc des guides aguerris pour tenter l’exploration du continent Simenon. Président de l’association des amis de l’écrivain, Jean-Baptiste Baronian a emprunté durant des décennies cette géographie pleine de replis et de crevasses. Il nous propose dix-sept itinéraires, en évitant les habituels commentaires pontifiants des « spécialistes ». S’il se laisse parfois aller à quelques inutiles dissections, portant sur des points insignifiants – exercice dans lequel certains céliniens sont passés maîtres –, il s’arrête vite pour reprendre la main du lecteur.

Mieux, la profonde affection que porte Baronian à son sujet nous fait aimer un peu plus Simenon, malgré les mots sévères de Pol Vandromme sur « l’écrivain Simenon : ambitieux féroce et inquiétant […] à l’affût de la renommée, en proie comme ses personnages à des folies, mais les administrant mieux, petit bourgeois qui négocie ses contrats en comptable expert, fastueux avec familiarité quand les relations publiques l’exigent, rusé, avide, calculateur, homme de lettres maniaque et démagogue qui aime les honneurs jusqu’à raffoler de leur dérision – inaugurant sa propre statue ». Au-delà de l’homme, se tient en effet un romancier talentueux qui, s’il ne s’illustra jamais dans de hautes constructions conceptuelles, maintint toute sa vie une vive intelligence des êtres et des caractères. Quel écrivain fut ainsi capable de rendre aussi fidèlement les sentiments d’un pêcheur d’Anvers ou ceux d’une bonne de Montmartre, tout en côtoyant Cocteau, Pagnol, Charlie Chaplin ou Guitry ?

L’écriture de Simenon est celle du détail, celui-là même que beaucoup jugent insignifiant par pauvreté du regard. Dans la perspective simenonienne, le romancier doit faire son miel du petit monde dans lequel il se plonge, et saluer « les gens, les petitesgens, et les choses, les petiteschoses ». Simenon nous rappelle ainsi qu’il y a autre chose que la littérature nombriliste ou pédante que nous vaut l’époque. C’est un legs précieux.

 

Simenon, romancier absolu,de Jean-Baptiste Baronian, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 192 pages, 18,50 euros.

Pierre Saint-Servant – Présent

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